Payez 2.- pour lire le titre [Mario Kart Tour, Android]

La sortie de Mario Kart Tour est l’occasion pour nous d’agiter un drapeau. Non pas celui de la ligne d’arrivée, mais celui qui signale un trou dans la chaussée. Choisir un jeu sur mobile n’est pas chose aisée, surtout lorsque d’anciennes figures de confiance retournent leur veste et foncent sur la voie de l’argent facile.

On ne présente plus Mario Kart. Si ? Un jeu de course mettant en scène les personnages de l’univers de Mario, dans des véhicules loufoques, sur des parcours encore plus farfelus. Des boîtes sont disséminées sur la piste, renfermant des objets d’aide bonus dont la probabilité d’apparition dépend de votre rang dans le classement. Le succès de cette franchise viendra surtout de son mode multijoueur. Celui-ci permettant de mettre à l’épreuve les amitiés à grand renfort de carapaces vertes, rouges et bleues.

Transmission automatique

Mario Kart bénéficie donc d’un capital sympathie très élevé. À travers les générations de consoles, les parents y ont très certainement joué et les plus jeunes ont découvert le dernier épisode sur Switch. Celui-ci est probablement le plus complet et fignolé de la série (on vous le recommande !).

Maintenant, imaginez-vous, face à l’écran de service de téléchargement de votre smartphone. Vous aimeriez un jeu, peut-être même un à destination d’un bambin. Qu’allez-vous choisir entre la bonhomie de la tête moustachue, néanmoins connue, de Mario sur son kart, ou les cent cinquante autres titres dont vous n’avez jamais entendu parler ? On vous laisse réfléchir, mais nous, on est persuadé que ça ne vous prendra pas longtemps. On vous a dit qu’il était gratuit aussi ?

Mario kart tour mobile course

Visuellement on est en terrain connu et appréciable.

Sans les mains

Mario Kart Tour est une version ultra épurée du concept. Votre véhicule avance seul et on déplace son doigt de gauche à droite sur l’écran pour amorcer les virages. On tapote pour lancer les objets et on ne craint plus les sorties de route, car le tracé est automatique. En revanche, tout n’est que question de récompenses et d’achats intégrés. Tout s’achète, se monnaie, les karts, les pilotes, les accessoires, etc. Il est également possible de les remporter dans des jeux de loteries nauséabonds, lesquels nécessitent une contribution pécuniaire. Cette dernière peut être réglée avec la monnaie virtuelle qui se gagne en participant aux courses, mais sortir la carte de crédit permet de sauter des étapes. Ajoutez à cela que toutes les offres sont limitées dans le temps, qu’il est possible de payer des « abonnements » au mois afin d’obtenir des bonus et le monde chatoyant de Mario se transforme en application de casino.

 

Mario Kart Tour mobile boutique

Le joueur est assez vite bombardé de message ventant les promotions limitées dans le temps.

 

Traitement médiatique

Les changements de mentalité sont en marche. La RTS se met progressivement à envisager les sorties de jeu marquantes comme phénomènes culturels et non comme prétexte à polémique. Cet élan est à saluer bien bas. Preuve en est que le jeu vidéo peut être abordé comme n’importe quel média. N’empêche, je m’interroge au sujet d’une lacune dans le traitement médiatique, qui mériterait encore quelques efforts. Le hasard du calendrier a voulu qu’à quelques jours d’intervalle, la RTS ait traité trois sujets concernant les jeux vidéo. La sortie du remake de Link’s Awakening sur Switch, celle de Mario Kart Tour sur mobile et troisièmement, la façon dont il faut encadrer la pratique des loot boxes, particulièrement pour les parents.

Dans le premier cas (Le 19h30, 20.09.19), le reportage montre de manière cohérente comment des joueurs expriment le plaisir qu’ils ont à retrouver un jeu de leur enfance. L’angle développé est notamment celui de l’importance de la nostalgie.

Puis, deuxième incursion des jeux vidéo à l’antenne, radio cette fois-ci, le 25 septembre (Le Journal horaire), pour annoncer l’arrivée fracassante de Mario Kart Tour. Le journaliste y relate, entre autres, les problèmes de serveur, mais insiste particulièrement sur le fait que Mario Kart est une « valeur sûre ».

Pourtant, le jour précédant, j’étais invité sur le plateau de l’émission On en parle pour participer à une discussion très constructive sur les achats intégrés dans les jeux vidéo et les risques qu’ils peuvent représenter pour les plus jeunes joueurs.

Bien entendu, il n’y a pas de lien entre ces trois diffusions, mais je constate que c’est davantage le phénomène du jeu qui est traité, sans regard critique posé sur l’objet culturel. Pour cela, il faut se tourner vers l’émission spécialisée, Point Barre sur Couleur3. Mais si le traitement médiatique des jeux vidéo sur La 1ère est en progression, il y a dans ce cas précis, comme une incohérence lorsque la question des microtransactions n’est pas du tout abordée dans le sujet du 25 septembre.

 

Médaille en chocolat

Revenons-en au cœur du jeu. Du côté technique, le jeu se défend plutôt bien. C’est tout à fait joli et ça tourne sans problème. Par contre, l’impression de vitesse est un peu faiblarde et la caméra est placée trop près du personnage, ce qui coupe singulièrement le champ de vision et empêche de bien voir les contours. Mais ce qui me chagrine particulièrement, c’est la simplification extrême du gameplay. Là où les versions Wii U et Switch avaient réussi à proposer quelque chose à la fois très accessible, mais également très fin (notamment dans la gestion des dérapages), Mario Kart Tour est lui tout à fait grossier. Le passage à l’écran tactile ne permet pas la même sensibilité. À la limite, ce point peut être mis sur le dos de mon âge avancé en termes de joueur, ça ok, j’assume.

Mais comment justifier que les sauts valident automatiquement les accélérations bonus? Sur Switch et Wii U, actionner un bouton/agiter la wiimote au bon moment permettait d’obtenir un boost de vitesse. C’est donc la compétence qui est couronnée. Dans Mario Kart Tour, il suffit de prendre un saut pour que le turbo s’enclenche automatiquement. Quand on sait que rater un tremplin c’est un peu comme manquer un Bowser dans un corridor, on tient là un superbe remplacement de valorisation de la performance, par une récompense à outrance. C’est pas un appauvrissement culturel ça?

Mario Kart Tour Mobile règlement

« Tout le monde peut jouer » (extrait du règlement du jeu). Rappelons que logo PEGi 3 signifie uniquement que le contenu du jeu peut être vu sans risque par un enfant dès 3 ans. Ça ne nous dit encore rien du fonctionnement du jeu en soi.

Lèche-bot

Si vous commencez à jouer à Mario Kart Tour, vous gagnerez assez facilement les premières courses, les autres concurrents ne vous opposeront pas une résistance trop forte. À aucun moment, il est indiqué qu’il ne s’agit pas de vrais joueurs. La rumeur s’est donc vitre propagée que les autres pilotes étaient en fait des bots, dirigés par l’intelligence artificielle. En utilisant des pseudos de joueurs (ou ce qui s’en approche), on a l’impression de concourir contre d’autres personnes. Pourtant le mode multijoueurs n’est toujours pas disponible à l’heure où je tape ces lignes.

La difficulté augmente donc progressivement de manière artificielle. Concrètement, cela veut dire qu’on vous fait croire que ce ne sont pas vos compétences qui pêchent, mais bien le fait que vous ne disposez pas des options adéquates sur votre kart. Retour alors à la boutique, où règne l’impression qu’en investissant on progressera à nouveau sans encombre.

Se méfier de (Nintend)eau qui dort

Dans un récent article paru sur le site canadien La Presse, on apprend que des parents se sont ligués pour porter plainte contre Epic Games, pour avoir rendu leurs enfants accros à Fortnite… Sans m’étendre sur le doute que j’ai quant à la pertinence de cette démarche, je relève le commentaire suivant d’un père lambda:

La presse NintendoJe soupçonne l’emploi du mot Nintendo chez ce paternel comme étant une appellation générique du jeu vidéo. Comme ces parents qui disent « la playstation » pour définir n’importe quelle console. Néanmoins, cet exemple démontre comment l’image de Nintendo est associée à quelque chose de sécurisé et inoffensif pour les bambins, en général à juste titre. Dans le cas de Mario Kart Tour, la réputation de Nintendo aurait largement suffi pour que les joueurs soient prêts à payer quelques francs pour une bonne version de leur jeu. À l’inverse, la firme japonaise mise ici sur la rentabilité extrême, en ciblant sans vergogne un public comprenant, on l’imagine bien, bon nombre d’enfants. Faites demi-tour dès que possible.

Note: 3 Viva Las Vegas sur 10

Retour de flammesVertigo

Il y a à peine plus de deux ans, je vous encensais les qualités de cet autre jeu pour smartphone estampillé Nintendo : Fire Emblem Heroes. Tapi dans l’ombre, ce jeu de stratégie était pourtant le précurseur du « modèle casino » largement affiché dans Mario Kart Tour. Lors de mon test, Fire Emblem Heroes proposait déjà de collectionner le plus de héros possible, ayant chacun un niveau de rareté et donc une probabilité d’apparition lors des (loot-) invocations. La possibilité d’acheter des cristaux supplémentaires était bien présente, mais l’équilibrage permettait de s’en passer et d’obtenir tout de même des personnages rares assez fréquemment, pour autant qu’on y joue quelques minutes chaque jour. Lors des mises à jour successives, de plus en plus d’évènements spéciaux ont fait leur apparition. À la clé, des éditions limitées de héros qui ne sont disponibles qu’à une période précise de l’année. En partant d’un sentiment « à la Pokémon« , où compléter sa collection est d’abord question d’assiduité (et de chance), on en est arrivé à une impression de course permanente. Trop d’options, trop de possibles, trop de risques de rater un rare, trop tentant de payer pour un coup de pouce.

Author: Founet

A ne pas confondre avec le village vaudois, est à peine plus jeune qu’une Famicom. Vouant un culte à George, il découvrit son amour du jeu vidéo et de la techno allemande pendant les grandes années de Lucas Arts. De ses nombreuses heures passées à cliquer lui vient son humour absurde et sa cleptomanie. Frappé d’une mystérieuse malédiction, les machines semblent se rebeller lorsqu’il les manipule ou fait mine de les regarder. Founet ne roule jamais en-dessous de 88 miles à l’heure et rêve de maîtriser la télékinésie grâce à la Force. En attendant de passer maître Jedi, il joue à la Wii U. Accessoirement rédacteur en chef, quand il arrive à se faire entendre des autres, qui mettent le son trop fort, les farceurs.

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