Imagine, tu crées un jeu basé sur un concept de masques. T’as un narrateur dont la voix martèle très régulièrement que tout le monde porte un masque. Et au moment de sortir ton jeu, paf: une pandémie sanitaire avec masques obligatoires. Imagine.
Alors forcément, le principe autour duquel s’articule Maskmaker perd un peu de sa symbolique (ou en gagne, c’est selon) avec le contexte actuel. L’énoncé de la voix off en devient quasiment une lapalissade. « Nous portons tous un masque »; sans déconner? Pourtant, ce chapitre de notre actualité mis à part, ce jeu en VR a des choses intéressantes à raconter.
À commencer par le duo derrière sa production. Au développement, nous avons le studio parisien Innerspace, à quoi l’on doit déjà l’excellent A fisherman’s tale, en VR également (et dont Maquette semble avoir récemment repris le concept). Et à l’édition, nous retrouvons MWM Interactive, qui a déjà eu le nez creux dernièrement avec Mundaun. Deux jeux aux ambiances singulières qui ont su se démarquer.
Le masque est une métaphore, Monsieur Ipkiss.
À chaque fois que je mets en route le HTC Vive, j’ai l’impression de me retrouver dans une scène de film, durant laquelle on verrait un de ses savants un peu fous (genre Doc Brown) brancher une machine saugrenue avant le début d’une expérience. Des alimentations multiples à enfoncer, des interrupteurs à enclencher, des câbles à vérifier. Je m’attends systématiquement à voir de la vapeur sortir de quelque part, ou à entendre une voix me demander de faire le plein de plutonium. Puis me voilà avec le casque sur les yeux; ou plutôt devrais-je dire: le masque (boum, premier niveau de métaphore. Prends ça Inception).
J’aime bien m’aventurer dans un jeu dont je n’ai pas vraiment entendu parler, qui est un peu passé sous le radar des collègues, des sites spécialisés de Twitter ou de Twitch. Sauf probablement celui de Grailly-pedia chez Fellowsheep-d’en-face, mais lui c’est une véritable encyclopédie. Bref, ce genre de découverte me donne l’impression d’être un explorateur prenant un chemin de traverse, loin du tumulte des grosses sorties. Ainsi c’est comme si je me retrouvais au calme, sans pression, explorant quelque chose que peu auront vu. D’ailleurs à l’heure où je vous parle, je suis installé sur ma terrasse et je pourrais tout autant être le professeur Challenger admirant ses mémoires, de retour du Monde Perdu (v’là la prise de melon du récit dans le récit).
Le carnaval des oripeaux
Pourtant ce sentiment de solitude est lui-même au coeur de Maskmaker également. Le jeu se divise en deux phases de gameplay différentes. La première, assez classique dans la pure tradition d’un Myst, consiste à explorer différents écosystèmes à la première personne et d’y résoudre des énigmes environnementales. La deuxième, tirant plus profit de la VR, fait appel à votre sens artistique et demande de fabriquer des masques face à un établi.
En résumé, en explorant une boutique de masque de carnaval, on se retrouve aspiré par un miroir façon Alice au Pays des Merveilles. On débarque dans un monde pratiquement vide, à l’exception d’un narrateur qui se prétend roi de cette contrée et de pantins de bois immobiles (et un brin flippants). Chacun d’eux porte un masque différent, peint et décoré avec des éléments issus de la culture bio-locale (végétaux, minéraux, plumes, coquillages, etc.). Une fois que l’on a pu récolter ces « ingrédients », on retourne à la boutique pour bricoler. Ceci se fait en retirant le masque porté à ce moment-là. Mais en gardant le casque VR hein. Ça va, vous suivez?
Une fois revenu à la réalité (celle du héros, pas la nôtre. Je vous avais prévenu, il y a plusieurs couches), on accroche le schéma au mur et on commence par tailler le bois. Ensuite, le masque est fixé sur un chevalet pour pouvoir le peindre et lui adjoindre les ornements adéquats. Lorsque ce petit processus est terminé, le masque s’illumine et lorsqu’on le porte, on se retrouve téléporté dans le corps du pantin qui avait servi de modèle. On peut alors accéder à une nouvelle zone et poursuivre l’exploration.
Ô mâle masqué, ohé ohé.
Comme dans tout jeu VR auquel je m’adonne, il y a un moment où je me pose la question: est-ce que la Réalité Virtuelle apporte quelque chose en plus? Est-ce qu’il ne s’agit que d’un artifice, ou est-ce que le jeu perdrait vraiment quelque chose si j’y avais joué sur un écran? Avec Maskmaker je suis un peu partagé. Les phases de créations fonctionnent bien. Et malgré le concept qui semble assez simpliste, on se laisse prendre au jeu de manipuler un objet et de piocher dans un stock d’accessoires, tel un élève de Poudlard.
En revanche, les séquences d’exploration ne gagnent pas grand-chose en termes d’immersion ni de fluidité. Sans que cela soit vraiment poussif non plus. À l’exception d’une poignée de passages où l’on doit effectuer des actions en un temps limité. Ne faites plus ça. Extrêmement mauvaise idée d’associer vitesse et VR. ça en devient limite énervant.
Mais je reconnais que les environnements sont très plaisants à parcourir. Et le scénario, bien qu’assez prévisible, et un prétexte suffisant pour avoir envie de découvrir chaque recoin, ainsi que le fin mot de l’histoire. Entreprise qui m’aura pris onze heures au total. Maskmaker profite alors d’une ambiance intrigante et permet d’explorer l’idée que nous portons tous un masque, même sans Covid. J’aime bien ce concept, que l’on retrouve dans les théories de Goffman que j’ai probablement déjà évoquées ici ou là. Selon les contextes et les besoins qu’ils génèrent, nous jouerions des rôles différents. Nous nous « déguiserions » pour pouvoir faire face adéquatement à ces situations. Je trouve alors que Maskmaker en est une superbe illustration, empreinte de mélancolie, de poésie et, pourquoi pas, d’espoir lorsque l’on en clôt l’aventure.
Masque de plongée…intérieure
Tout aussi inspirée et bien réalisée qu’A Fisherman’s tale, cette nouvelle production d’Innerspace est aussi plus longue et plus développée. Ce qui conduit à un verdict tout à fait positif et recommandable, même si j’ai été un peu moins convaincu que par son aîné. On va dire que ce sont plutôt l’ambiance et le propos de Maskmaker qui m’ont retenu, plus que le gameplay. Peut-être même un petit côté Stanley Parable qui passe bien. Je vous transmets donc le flambeau, à vous de découvrir les mystères de ce monde perdu. Ou les vôtres peut-être? Car après tout, nous portons tous un masque…
Note: 7 grimaces sur 10
Testé sur HTC VIVE. Également disponible sur Oculus et PSVR.