Les dieux font le père [God of War, PS4]

Que nous a appris la Grèce antique ? La philosophie ? L’art de la dissertation ? La politique ? Les décorations en frise au sommet des colonnades ? Ou que le fait d’avoir la rage et l’envie de vengeance peut suffire à décimer un panthéon dans son ensemble et sans pitié ?

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La tête et les muscles. Kratos tape, Atreus résout les énigmes.

En 2015, on avait laissé Kratos, le fantôme de Sparte, mourant, brisé et empalé, après l’ultime combat contre son Zeus de papounet. C’est que ça fatigue d’affronter et d’éradiquer les dieux de l’Olympe durant trois jeux, PS2 puis PS3 (sans compter les deux épisodes/digressions PS Vita), même mû par une colère sans borne. Mais une courte scène post-générique montrait que le corps de Kratos avait disparu et une trainée sanguinolente semblait nous faire comprendre qu’il avait pu rejoindre la mer. Nous le retrouvons donc des années plus tard, en pleine forêt nordique, à couper un arbre sous la neige, affublé d’une barbe de vieux hipster qui va bien et accompagné d’un garçon d’une dizaine d’années. Ce gamin c’est Atreus, son fils, et tous deux rapportent le tronc abattu afin d’alimenter un bûcher destiné à brûler la dépouille de leur femme/mère (respectivement). Ah ouais, ça débute bien, bonnes vibrations, ambiance légère, pas de doute on est bien dans un God of War. Les dernières volontés de la défunte demandent que ses cendres soient dispersées depuis le plus haut sommet des neuf mondes. Voilà, on a maintenant un objectif, le voyage initiatique peut commencer.

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Kratos, ce gros déconneur.

 

Tripadvithor

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Les troll c’est une plaie, à l’époque, comme aujourd’hui. Comment ça, on ne peut plus enfoncer sa hache dans leur crâne aujourd’hui? Au passage, on appréciera le nombre nettement réduit de QTE.

À la fin de God of War 3, Kratos libérait l’espoir de la boîte de Pandore et le rendait aux humains. Le monde était néanmoins en ruine. Le monde grec tout du moins. On peut donc logiquement en déduire que notre chauve préféré (juste devant Hitman et M. Propre) s’est réfugié à l’autre bout de la planète, qui était encore plate à l’époque. Mais revenons à l’espoir, car il va s’agir d’un élément sous-jacent à la trame de fond de l’aventure. L’espoir d’Atreus d’obtenir la reconnaissance de son père, l’espoir de Kratos d’atteindre enfin une forme de sérénité et de repos, l’espoir qui semble avoir quitté les terres que le duo traverse. Cette contrée de Midgard, habitée par les hommes dans la mythologie nordique, est en effet sacrément déserte. Beaucoup de morts, d’esprits demandant de l’aide pour passer de l’autre côté, mais surtout pas mal de créatures hostiles. Des trolls, des Draugr (sorte de zombies), des revenants, des loups-garous et autres dignes représentants de cette même mythologie nordique. Santa Monica, le studio derrière God of War depuis le premier épisode, a à nouveau fait un très bon travail de documentation, comme c’était le cas pour la Grèce.

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Quand le générique mentionne Brear McCreary (Walking Dead, Battlestar Galactica, Assassin’s Creed Syndicate, …), tu sais que tes oreilles vont kiffer. Avec une petite dédicace à Commando dans cette image).

 

Le nouveau mythe

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Le cahier des charges « escalade » est bien validé.

Au registre des nouveautés, si les racines « beat them up » sont toujours présentes, on quitte le domaine de l’arcade (adieu les combos et les points récompensant les séquences de coups), pour une approche plus orientée vers l’aventure que l’action. Cela s’illustre en premier, avec un choix de caméra désormais accrochée à Kratos et que l’on peut déplacer à sa guise. Ce choix de prime abord surprenant (pour rappel, dans les anciens épisodes la caméra était fixe et on avait plutôt l’impression d’enchaîner une suite de tableaux), permet une identification plus aisée à Kratos, une fois que l’on s’y est habitué. Ce changement fait penser à la saga Resident Evil, qui avait opéré le même avec le quatrième opus, offrant ainsi une expérience plus prenante, contre toute attente. Le côté aventure de God of War 4 s’incruste alors sur le même rayonnage que Uncharted 4 et Horizon Zero Dawn, deux titres phares de la PlayStation 4, illustrant avec brio que le jeu solo n’a pas dit son dernier mot et c’est tant mieux [NDZyvon-de-la-MasterRace: Et pour ceux qui n’ont joué à aucun des deux ça donne quoi?]! Dans une interview promo, le directeur de la photographie Dori Arzai, explique de quelle manière le défi de proposer l’intégralité du jeu en plan séquence (donc sans coupe), permet de renforcer le sentiment d’empathie aux héros, ainsi qu’une expérience très cinématographique. Ce dernier point mérite néanmoins débat, mais j’y reviendrai toute à l’heure.

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Les environnements sont variés et les décors superbes. Niveau sonore les doublages français sont très efficace. En anglais c’est Christopher « Teal’k dans Stargate » Judge qui prête sa voix à Kratos.

 

Un changement an-Odin ne peut pas faire de Thor.

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J’aimerais t’y voir toi à prendre des captures d’écran qui ressemblent à quelque chose en plein combat.

Dans une volonté de proposer une innovation, sans pour autant bafouer les bases qui ont fait le succès de la série, les combats se font maintenant uniquement avec les gâchettes R1 (coup faible), R2 (coup puissant), L1 (protection), L2 (runes magiques améliorant les attaques). C’est peut-être un détail pour vous, mais pour le ressenti ça veut dire beaucoup. Déjà, cela chamboule nos habitudes, si nos doigts cherchent d’abord les boutons classiques rond ou triangle, on doit se forcer à perdre ces réflexes pour se cantonner aux commandes situées sur le sommet de la manette. Les combats de ce God of War 4 sont nettement moins nerveux que dans les précédents épisodes. Le format des gâchettes renforce alors également les sensations de lourdeurs des impacts. Kratos est fatigué, moins robuste et peut être aussi moins précis que par le passé. Ce choix de commandes est un habile moyen de nous le rappeler, ou de nous y connecter. La disparition du saut est parfois frustrante, mais consolide également cette sensation de rudesse. En revanche, ces choix, de caméra et de jouabilité, vont malheureusement se heurter à une crispation lors des combats, puisque dès qu’un ennemi se trouve dans votre dos, un indicateur de danger assez approximatif vous laisse trop vulnérable. De la même manière, qui dit caméra libre, dit verrouillage de cible manuel. Celui-ci se faisant en appuyant sur R3, on touche là aussi à quelque chose de trop souvent imprécis.

 

La gloire de mon père

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Une mise en scène qui claque. Et là encore, c’est rien.

Lors des premières annonces et visuels de God of War 4, alors qu’on y découvrait le gamin et la barbe, pratiquement en même temps que Gears of War 4 dévoilait… à peu près les mêmes éléments, en fait, j’ai eu du mal à m’emballer. Mais alors que l’exclusivité de Microsoft se vautre complètement dans une repompée des titres précédents, sans parvenir à se réinventer, ni à créer une relation intéressante entre Marcus Phenix et son rejeton, God of War 4 opère un réel tour de force. Son atout majeur c’est justement la maturité des propos qu’il aborde. Que ce soit le rôle du père, l’affiliation, le poids des secrets de familles, le deuil, le passage à l’âge adulte, l’éducation, rarement un jeu n’aura su intégrer aussi pertinemment des thèmes introspectifs (ou du moins dans des jeux AAA). Car rappelez-vous : le jeu vidéo c’est pour les enfants, hein. On tient là un exemple parfait de jeu à ne pas mettre entre toutes les mains, puisque la violence qui a fait la réputation de la série est toujours bien présente. Les affrontements sont, à chaque fois, le théâtre d’une mise en scène, au minimum violente, au maximum vraiment gore. Mais on sent aussi que la sagesse remplace petit à petit la colère, God of War 3 poussait l’expression de la fureur dans le bien plus crade. Maturité on a dit.

 

Le triangle de Pytha-gore

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Atreus s’est donné comme mission de prendre des notes sur les créatures rencontrées. Il précise parfois comment s’en débarrasser plus facilement.

La relation entre Kratos et Atreus, très froide et distante au début, va donc se construire tout au long de l’aventure. Je ne vais pas en dire trop pour ne pas gâcher ces moments, mais sachez qu’il y en aura de très intenses. Le rôle du joueur est intéressant, puisqu’il oscille entre un observateur et un levier. C’est donc un triangle qui se développe, entre le fils, son père et le joueur. Il se déroule quelque chose de subtilement amené, puisqu’on dirige Kratos, qu’Atreus suit, mais qu’il est possible de lui donner de très brefs ordres, comme de tirer à l’arc. À mesure que les personnages progressent, les combats varient également en intensité. Je ne suis pas sûr que ce soit scripté, mais régulièrement durant le jeu, Atreus s’inquiète de ses compétences et j’ai l’impression que les appréciations données par Kratos le sont en fonction de la performance, du joueur. Souvenez-vous d’un Devil May Cry, d’un Bayonetta ou même des premiers God of War, où chaque fin de niveau est affublée d’un score sous forme de lettre, récompensant notre maîtrise, ici la « qualité » est indiquée au sein du jeu, sans interruption. C’est toujours le joueur qui mène le combat, en dirigeant Kratos, qui reçoit l’évaluation, mais elle est donnée PAR Kratos à Atreus. Donc le joueur s’identifie à la fois à Kratos de par l’expérience (tous les deux ont un passé de combats, que ce soit à travers les épisodes précédents ou des codes du jeu vidéo de manière générale), mais également à Atreus, puisque nous découvrons le nouveau système de combat, comme lui. C’est brillant et subtil, tout l’inverse du principe du jeu bourrin. De manière cocasse, le garçon pointe aussi ces fameuses inepties que l’on a appris à considérer comme normal dans un jeu vidéo, comme par exemple : Qui a allumé ces torches dans ce temple que l’on vient d’ouvrir ? Pourquoi perd-on du temps à casser des vases alors qu’on a un destin épique qui nous attend ? Comme le marchand fait-il pour toujours arriver avant nous dans les contrées dangereuses ? On assiste alors là à un grand moment de jeu vidéo. Le verbe n’est pas choisi par hasard, abordons donc le caillou dans la chaussure.

 

Une gemme dans la sandale grecque

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Les environnements sont variés et les décors superbes.

Un caillou dans la chaussure, pour une balade en montagne, c’est plutôt embêtant. Ça n’empêche pas d’avancer, mais on le sent régulièrement. Cette relation dont tout le monde parle, encensée par tous (à juste titre), ne passe jamais par le gameplay. En effet, on assiste à une grande épopée introspective, uniquement à travers les superbes cinématiques. En revanche, on n’agit jamais sur cette interaction. Ou presque jamais, puisque le seul moment où l’on sent une synergie parfaite, c’est lorsque l’on arrive à placer une flèche d’Atreus avec le bon timing, pour permettre un enchaînement avec les coups du paternel, un bref instant de sublimation de cette complémentarité (ah, le frisson du « flow »). Le reste du temps, il y a un décalage un brin désagréable entre ce que les cinématiques nous montrent et les séquences jouables. Dans le premier cas, on nous présente un Kratos puissant, qui peut soulever des montagnes et qui a dessoudé l’Olympe (je le rappelle), et un Atreus faible, qui doit être protégé et éduqué. Dans l’autre cas, dès que l’on reprend la manette en main, Kratos devient « faible », puisqu’il peut se faire déglinguer par le premier zombie venu et un Atreus « fort », puisqu’il ne peut prendre aucun dégât. Je n’ai pas pu m’empêcher d’éclater de rire la première fois qu’un gigantesque troll des glaces a balancé son mortier dans la tronche du gamin et que ce dernier a volé à travers l’arène, avant de se relever comme si de rien n’était. C’est des principes d’éducation à la dure qui auraient fait frémir François Dolto. Que les cinématiques nous proposent des actions qui ne peuvent pas être reproduites pour cause de limitation du gameplay ne me choque pas (excepté quand, assez tôt dans le jeu, Kratos guérit de ses blessures après un affrontement coriace… et que les points de vie, eux, ne remontent jamais automatiquement. Maladroit). Ce n’est pas la première fois qu’on voit le héros d’un jeu accomplir des choses incroyables (d’un point de vue cinématographique), puis être limité dans ses actions quand on le dirige. D’ailleurs pour moi si cela permet d’ajouter une « profondeur » et un caractère au personnage, pas de soucis. En revanche, là cette fameuse relation étant un élément central du jeu, je trouve une telle dissonance plutôt regrettable. Bien entendu, je pense que j’aurais été le premier à pester s’il avait fallu s’inquiéter du sort d’Atreus à chaque affrontement. Mais c’est là le cœur du problème : Kratos s’inquiète pour son fils, le joueur, lui, jamais. Et probablement qu’il est encore trop tôt pour faire mourir un enfant dans un jeu vidéo, même si celui-ci se veut mature.

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Dispersé dans le monde, se trouve des tas de choses à trouver, comme ces corbeaux d’Odin à détruire.

 

Scandinavigation

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Les séquences en bateau sont autant d’occasion d’échanges touchants, drôles ou éprouvants entre Kratos et son fils.

La quête principale laisse aussi la part belle à l’exploration. Malheureusement, pour moi il s’agit là de la partie peut-être superflue. Si cela donne lieu à des énigmes plutôt intéressantes à résoudre, les récompenses permettent, elles, d’améliorer ses armes et armures dans un processus de crafting laborieux et confus. On a vite tendance à tout perfectionner à l’aveugle, car on ne sait plus qu’elle est la différence entre talisman, enchantement, runes, etc. On a envie de connaître la suite de l’intrigue et de taper sur des bestioles au lieu de comparer des stats. Il y a un petit côté « Metroidvania » quand on bute sur un obstacle et que l’on comprend qu’on aura besoin d’un nouvel outil/pouvoir pour progresser. Le système de voyage étant plus propice au développement de l’histoire, j’avais plutôt la flemme de revenir par la suite. Alors j’ai eu tendance à m’acharner contre des ennemis bien trop puissants pour moi à ce moment-là, pour finir par bâcher après de nombreuses morts frustrantes… et revenir pour vivre ce moment jouissif de la vengeance en leur DÉFONÇANT LES GENCIVES ! MOUHAHAHA !!

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Aïe, la carte est bien pourrie, on n’y voit pas grand chose.

 

Ragnaröck and roll

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On peut être un dieu ET une fashion victim.

Certes, je regrette un peu que God of War n’ait pas trouvé une mécanique de gameplay pour y emmitoufler la relation père-fils prépondérante. Les émotions ne se dégagent donc de cette histoire qu’à travers les cinématiques et c’est plutôt dommage. Mais j’ai adoré retrouver Kratos et suivre cette quête. Ça faisait longtemps que je n’avais pas eu cette sensation de me réjouir de pouvoir relancer une partie dans un jeu triple A. J’ai ainsi apprécié que Santa Monica se soit pris le temps de bosser sur ce 4e volet. Par contre, les gars, s’il vous plait, vous auriez au moins pu trouver un titre un minimum original, non ? Le travail du studio est superbe, tant au niveau visuel qu’en ce qui concerne les délicieux dialogues. On admet que Kratos a vieilli, justifiant ainsi la diminution de sa puissance, mais si cela questionne sur la pertinence de prolonger, parfois à outrance, des sagas, God of War 4 nous montre aussi comment on peut pousser à se réinventer et à acquérir une forme de sagesse en vieillissant, plutôt que de n’utiliser que l’énergie de la colère. Une bien belle mise en abîme. On valide, deux fois, parce que deux fois Valhalla mieux qu’une.

Note: 10 Mjöllnir sur 10

Author: Founet

A ne pas confondre avec le village vaudois, est à peine plus jeune qu’une Famicom. Vouant un culte à George, il découvrit son amour du jeu vidéo et de la techno allemande pendant les grandes années de Lucas Arts. De ses nombreuses heures passées à cliquer lui vient son humour absurde et sa cleptomanie. Frappé d’une mystérieuse malédiction, les machines semblent se rebeller lorsqu’il les manipule ou fait mine de les regarder. Founet ne roule jamais en-dessous de 88 miles à l’heure et rêve de maîtriser la télékinésie grâce à la Force. En attendant de passer maître Jedi, il joue à la Wii U. Accessoirement rédacteur en chef, quand il arrive à se faire entendre des autres, qui mettent le son trop fort, les farceurs.

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