Buffy Luke [ Evil West ]

C’est une chose que les amateurs de jeux vidéo ou de cinéma de genre connaissent bien : il existe un plaisir tout particulier à se voir offrir un divertissement régressif. Si le terme de « cinéma bis » est désormais unanimement reconnu dans le domaine du 7e art, il serait peut-être temps d’approuver son équivalent vidéoludique. Après trois Shadow Warrior jouissivement nanardesques, le studio de développement polonais Flying Wild Hog semble en tout cas bien décidé à faire du caricatural jubilatoire son cheval de bataille et en remet une couche avec Evil West. Une question se pose alors : peut-on pareillement s’encanailler sans être jugé ou, pire, culpabiliser ?

Commençons par une définition. Qu’est-ce qu’un plaisir coupable ? Selon Mélissa Thériault, professeur de philosophie à l’Université du Québec, « c’est une expression qui dit le contraire de ce qu’elle est. Quand on a un plaisir coupable, c’est qu’on a un plaisir qui est sincère et qui devrait être vécu sans culpabilité. Un plaisir coupable est un sentiment qu’on ne devrait pas avoir, mais qui est plus fort que soi, comme si l’on ne devait pas apprécier une œuvre que l’on juge indigne de son estime, mais on ne peut faire autrement que de ressentir un plaisir ».

 

Des environnements de toute beauté, au sens baudelairien du terme.

 

À l’heure où même les supporters de foot sont encouragés à se priver de coupe du monde pour des raisons éthiques (autant essayer d’expliquer à son chat qu’il doit renoncer à son pâté parce qu’il n’est pas bio), c’est peu dire qu’Evil West a de quoi tirailler les joueurs soucieux de l’hygiène de leur vertu. N’y allons pas par quatre chemins : le nouveau bébé de Flying Wild Hog est un jeu d’un autre temps. Pas parce qu’il nous plonge dans le Far West, mais parce qu’il s’amuse avec tous les stéréotypes désormais honnis par les studios terrifiés à l’idée de perdre de l’argent d’être accusés de faire le jeu de quelconques oppresseurs.

Vampire Hunter (série) D

Imaginez le strict contraire d’une série Netflix dans sa représentation des individus et vous aurez une petite idée de la nature d’Evil West. Au fil d’une narration qui avance à toute vitesse, les scénaristes prennent à malin plaisir multiplier les clichés. Sur un ton volontairement nanardesque, l’histoire ne souffre d’aucun répit dans la bêtise volontaire. Au-delà des situations, environnements et retournements de situations tous ultra prévisibles, le noir de la bande est forcément un sidekick badass, le docteur une femme généreusement hystérique et le scientifique, on vous le donne en mille, un asiatique.

 

Des dialogues raffinés et des personnages absolument pas stéréotypés.

 

Nous voilà donc aux commandes de Jesse Rentier, un cowboy chasseur de vampires. Comptant parmi les derniers membres d’une agence qui lutte contre ce qu’ils appellent les « tiques »,  il doit protéger la frontière américaine, non pas en dressant un mur, mais en distribuant des mandales à tout ce qui s’apparente de près ou de loin à une monstruosité surnaturelle. Notons au passage que le traitement des vampires est plutôt intéressant. Livrés à un conflit au sein de leur propre communauté, ils sont divisés entre ceux qui ne jurent que par la pureté de la lignée et ceux qui considèrent que l’espèce doit évoluer en se pliant à la technologie. Rien d’absolument transcendant, mais c’est suffisamment écrit pour ne pas être totalement générique.

 

L’Ouest à la sauce gothique, ça claque !

Au fil des niveaux tous très variés (qui réservent leur lot d’environnements aux ambiances soignées), on pense énormément à de nombreux films de John Carpenter. Vampires et Ghost of Mars pour l’univers et le ton totalement assumé, The Fog pour certaines ambiances. Il est absolument certain que les développeurs de Flying Wild Hog ont été biberonnés aux œuvres du maître de l’horreur tant on retrouve sa patte. Les esprits les plus déviants – Founet en tête – penseront également à Cowboys et envahisseurs pour le gant électrique presque identique à celui du personnage de Daniel Craig, à Van Helsing ou encore, désolé de vous rappeler son existence, à Wild Wild West pour les touches steampunk.

 

Evil West a tout du gros mashup de diverses influences. Et le pire, c’est que ça fonctionne.

 

Evil West proposant un mode coop (dans lequel les deux joueurs incarnent Jesse Rentier, bonjour la flemme), c’est avec Founet que j’ai parcouru 12 niveaux sur 16. Ce serait mentir de dire que nous ne nous sommes pas joyeusement marrés devant autant de mauvais esprit. Même si les dialogues ne sont pas aussi finement écrits que ceux de Lo Wang dans Shadow Warrior, et même si le jeu souffre encore de quelques bugs, je suis obligé de donner raison à Mélissa Thériault : mon plaisir a été sincère. J’irais même jusqu’à dire que le petit goût d’interdit causé par le décalage entre une cette approche régressive de la narration et les standards actuels a renforcé ma joie. Vous allez me dire que c’est parce que je suis un sale garnement nostalgique des séries B des années 1980. Oui, mais pas seulement. Parce que si Evil West paraît anachronique dans son écriture, il est loin de l’être dans sa jouabilité.

 

Ces crânes volants me rappellent quelque chose…

Entretien avec un bourrin

Justement, parlons-en de cette jouabilité. Exit le FPS de Shadow Warrior, Evil West est un jeu à la troisième personne avec un angle de caméra très proche du personnage. Ce qui n’est pas sans rappeler un autre bourrin d’un autre temps. Au fil des niveaux qui alternent des environnements très variés sans aucune cohérence et fluidité dans leur transition, le principe est pour le moins simpliste : on avance, on trouve des dollars pour améliorer les capacités de son équipement, on entre dans des arènes et on tabasse des monstres. À la fin de presque tous les niveaux, ô surprise, on se retrouve face à un boss. Oui, c’est classique. Oui, sur le papier c’est déjà vu et revu. Oui, le level design fleure la génération précédente. Mais bordel, quelles sensations !

 

Il se trame ici des choses pas très catholiques.

 

Si Evil West parvient à tirer son épingle du jeu, c’est précisément parce que les sensations que procure son système de combat sont jouissives. Non seulement votre gant électrique vous permet d’asséner des patates de forain à vos adversaires mais grâce à lui vous pouvez également initier de joyeux enchaînements. Par exemple, un uppercut peut immédiatement être suivi d’une salve de revolver alors que le suceur de sang que vous tabassez est encore en l’air. Le même gant vous permet de parer les attaques de vos adversaires, d’immobiliser ces derniers avant de les transformer en punchingballs électrifiés.

 

Oui, certaines textures piquent un peu les yeux.

 

Afin de rendre les combats encore plus nerveux au sein des arènes, vous pouvez également attirer à vous un ennemi grâce à un champ électrique ou encore vous déplacer très rapidement vers votre prochaine cible. Ajoutez à ça la possibilité d’envoyer valser vos cibles dans des éléments explosifs du décors, un fusil, un canon scié, un lance-flamme, des grenades et toute une panoplie de compétences spéciales qui se débloquent au fil des niveaux que vous gagnez et vous obtenez un beat them all extrêmement plaisant. De là à dire qu’on tient un équivalent aux derniers Doom en TPS, il n’y a qu’un pas que je serais presque tenté de franchir.

 

Vous aussi vous entendez la BO de The Fog dans votre tête ?

 

À ceux qui pourraient penser qu’autant de possibilités offertes en combat rendent le jeu brouillon : détrompez-vous. Les combos s’enchaînent avec un naturel déconcertant et l’alternance entre le corps-à-corps et les armes à feu s’avère très instinctif. Cette fluidité, on la doit notamment à un système d’attaques spéciales des ennemis qui activent un point faible, vous encourageant à dégainer votre fusil pour tirer plus rapidement que votre ombre. Le tout fonctionne si bien qu’on s’étonne encore devant l’absence de compteur de combos. Une telle fonctionnalité aurait vraiment eu sa place dans Evil West et aurait même boosté sa rejouabilité.

Immortels ?

On le sait, la saveur de ce genre de jeu repose grandement sur leur challenge. Evil West propose justement quatre modes de difficulté ainsi qu’un mode mort permanente. À la manière d’un mode hardcore dans un Diablo, ce dernier vous fait recommencer l’entier du jeu à la première mort. Avec Founet, nous avons opté pour le mode de difficulté normale. Sans être véritablement exigeant, ce mode « par défaut » vous confronte tout de même à quelques situations tendues, notamment lorsque vous remarquez que le boss du niveau précédent fait désormais office de vulgaire mob. La principale difficulté est causée par les vagues d’ennemis qui vous assaillent dans les arènes. Moi qui redoutais un decrescendo dans la qualité des niveaux et des boss, je dois bien admettre que c’est plutôt le contraire que j’ai constaté. Au fil de l’aventure, les niveaux se complexifient un peu et le boss réservent quelques belles surprises.

 

Si les vampires se mettent à l’architecture lovecraftienne, on n’est pas dans la merde !

Aiguisez vos canines, on est venu ici pour sourire !

Bas du front, régressif, mais jouissif. Voilà qui résume bien Evil West. Alors ? Ai-je culpabilisé en ressentant un plaisir sincère et espiègle ? Absolument pas ma bonne dame ! Comment est-ce possible ? Peut-être parce que j’ai l’humour d’un sale garnement. Ou alors parce que j’ai la nostalgie d’une époque où le mauvais goût était savouré sans que personne ne craigne que son son esprit ne nous contamine. Et si c’était tout simplement parce que j’avais de l’autodérision ? Dans tous les cas, soyez prévenus : esprits sérieux, ayatollahs de la morale, passez votre chemin. Dommage pour vous, vous manquez un sacré défouloir.

Note : 666 Hell yeah / 10

Testé sur PC. Disponible également sur PS4 & PS5, Xbox One & Xbox Series X|S

 

 

Author: Cygurd

Un jour, quelqu’un l’a appelé « Cygy ». Depuis, Cygurd boit son café matinal, aromatisé d’une lichette de whisky, dans le crâne de cet imprudent. Pourtant, il a un bon fond, à la base. Il aime la nature et vit dans un paisible hameau. En faisant jouer ses relations et son talent pour la filouterie, il s’est arrogé l’accès principal au réseau électrique du village. Ce ne sont pas quelques diminutions de l’éclairage public qui allait l’empêcher d’explorer des titres qui l’ont marqué à vie, comme Planescape Torment, Duke Nukem 3D, F-Zero GX, Monster Hunter World, Zelda A Link to The Past, ni de se découvrir une passion pour les jeux de From Software. Mais soucieux de son prochain, Cygurd organise régulièrement des sessions pour les enfants de son village et transmettre sa passion. Il sait que c’est ainsi qu’il préparera une fière et robuste relève. Il nous fait parvenir ses écrits et sa bonne parole par busards voyageurs, et ça, c’est la classe.

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