Congelé paternité [ God of War: Ragnarök ]

Et si le jeu vidéo avait des choses à nous raconter? Vous imaginez que derrière le fait d’appuyer sur des boutons, en fait il y ait des messages, des thèmes, des réflexions? Pire, des émotions! Non, faisons fi de toutes ces inepties ou perspectives déconcertantes, voire perverses, et concentrons-nous sur ce qui fait le cœur de notre loisir préféré: taper sur des trucs.

God of War: Ragnarök, c’est la suite de God of War (2e du nom, mais 5e de sa lignée). C’est l’histoire de Kratos, un mec qui impose sa religion autour de lui de manière pugnace. Puis il se retire dans le nord pour faire de l’évasion fiscale, rencontre une femme qu’il épouse et qui devient son impresario pour gérer à distance les ventes de ses livres de développement personnels. Les dieux locaux lui font signe que, non Monsieur, ici il y a des coutumes à respecter et qu’on ne peut pas débarquer comme si de rien n’était. Grâce à une stratégie commerciale agressive, il liquide la concurrence, après le décès de sa femme. Il élève maintenant son fils unique, adolescent prometteur, dans une cabane au fond des bois, sur un modèle monoparental avec un autre homme (ou du moins sa tête) qui l’appelle « frère ». Un récit d’aujourd’hui en quelque sorte.

 

God of War Ragnarök PS5 home sweet home

Home sweet home

Pèrecèdemment

God of War Ragnarök, c’est très bien. Difficile de dire le contraire. Mais GoW:R, c’est pas très différent de God of War (2018). Pas que ce soit une mauvaise chose, d’ailleurs. Pour préparer la rédaction de ce test, je suis allé relire celui que j’avais fait en son temps pour l’opus d’il y a quatre ans. En plus du fait que je savoure l’inspiration que j’avais pour les jeux de mots en intertitres, tout ce que j’avais écrit alors pourrait s’appliquer à cette suite. Vu que je lui avais collé un flamboyant 10/10, il serait difficile d’être médisant aujourd’hui. Et effectivement, j’ai kiffé. L’histoire débute quelques années après les événements du premier, Atreus étant maintenant adolescent et en quête de réponse sur sa généalogie. C’est avec un plaisir non dissimulé que j’ai repris ce récit comme si c’était hier et que je m’en suis délecté.

 

God of War Ragnarök PS5 bateau

Le retour du bateau et des histoires pendant qu’on rame.

Vieilli en fût de chaines

Je ne vais pas vous faire l’affront de vous réexpliquer ce qu’est God of War. Surtout que je l’ai déjà fait (avec brio, et superbe jeu de mots en titre principal, vous faites bien de le remarquer) dans l’autre article que je vous invite donc à (re)lire. On n’est pas sur de l’innovation, mais de la maturation. Ce thème était central dans le renouveau de la série et se poursuit ici. Je suis à nouveau impressionné de voir comment le studio Santa Monica parvient à faire ressentir ce sentiment de maturité à travers un jeu dont le principe est de fracasser tout se qui se dresse sur notre chemin.

 

God of War Ragnarök PS5 détails

Les nordiques ont toujours ce sens de l’aménagement intérieur. On reconnait la table basse Trügutt à gauche. Le soucis du détail renforce l’immersion. On se croirait dans un décors de parc à thème.

 

Le parachèvement étant probablement de passer de jeux où l’on a besoin d’un prétexte pour taper sur des choses, à taper sur des choses pour justifier un prétexte. Faites un jeu sur la dureté d’élever un enfant seul, même très bien réalisé, vous en vendrez sûrement deux cents après avoir posé votre stand dans tous les salons du jeu indé du coin. Faites un jeu finement ciselé, de combats violents et impétueux, mettant en scène un dieu de la guerre, aux prises avec la mythologie nordique, c’est par palettes que vous le refourguerez (surtout en cette période où les Vikings ont le vent en poupe).

 

God of War Ragnarök PS5 sanglant

Oui, c’est toujours sanglant et violent. Mais pas que. Et prendre des screenshots en plein combat, c’est toujours hasardeux.

Si maintenant vous n’oubliez pas de saupoudrer habilement votre réalisation avec des éléments affectifs et des messages pouvant ouvrir à la réflexion, vous aurez doublement atteint votre objectif. Ou du moins, vous m’aurez aidé à démontrer que l’appellation de « serious game » est à jeter à la benne à recycler. Je me réjouis du jour où les lycées et les universités proposeront d’étudier la représentation artistique des difficultés monoparentales en exposant GoW:R à côté de Les Misérables. Il a osé comparer un jeu vidéo à Victor Hugo, il est fou (et en plus il parle de lui à la troisième personne; j’appelle l’ambulance).

 

God of War Ragnarök PS5 Yggdrasil 2

C’est beau hein. Quel poseur.

Père butor, raconte-nous une histoire…

Paradoxalement, j’ai l’impression que les combats se font plus rares dans God of War Ragnarök. Laissant plus de place à l’exploration et aux échanges entre les trois protagonistes, Kratos, Atreus et Mimir. Les dialogues sont d’ailleurs toujours aussi savoureux et la VF tient à nouveau sacrément bien la route. Le bourrinage est ainsi savamment dosé pour ne pas devenir lassant et bien assez exigeant pour offrir un défi de taille. Mes (pas non plus trop) nombreuses morts m’ont suffisamment rappelé à quel point il faut être minutieux dans la frénésie. Cette sensation fait alors monter l’intensité du combat jusqu’à remplir la jauge de rage. Celle-ci permettra l’apaisement de cette tension par la libération de l’énergie, des coups destructeurs pendant un bref moment d’invulnérabilité. Il est pas clair le schéma émotionnel là?

 

God of War Ragnarök PS5 Mimir

Les muscles font la place belle à la tête.

 

Le level design participe activement à cette construction, puisqu’au-delà des décors à couper le souffle, les différents niveaux sont pensés aussi selon leurs milieux. Par exemple, les mines des nains de Svartalfheim prennent la forme de galeries sinueuses et écrasantes ne laissant pas beaucoup de doute sur le chemin à suivre d’un boyau à l’autre. Tandis que Alfheim, le royaume des elfes, est plus ouvert et propose même une zone de type « open world » à explorer. Après une quinzaine d’heures de jeu, et une investigation minutieuse de chaque recoin pour y dénicher des artefacts dissimulés, je suis loin de voir la fin du jeu. Et la moitié des objets cachés (d’après les infos de la carte) me demandent d’y revenir plus tard avec les bons outils ou compétences.

 

God of War Ragnarök PS5 pierres

Oh non des cailloux qui m’empêchent de passer: mon pire ennemi! Une nouvelle aptitude permettra de s’en débarrasser plus tard.

Captain Scandinavia

Au registre des nouveautés, le bouclier prend aussi plus de place dans les combats. Je vois des métaphores partout, mais serait-ce à l’image de Kratos veillant à accorder de plus en plus d’importance à la défense qu’à l’attaque? Et donc à moins d’impulsivité? Au détriment d’Atreus? Mais j’y reviendrai. Au même titre que les armes et les armures, le bouclier peut être optimisé et renforcé par les forges des nains. Durant les combats, on peut l’utiliser pour dévier des attaques en appuyant au bon moment sur la touche de protection. En encaissant des coups, il se charge d’énergie qui peut être ensuite retournée contre les adversaires en les faisant valdinguer.

 

God of War Ragnarök PS5 lac

Rien ne vaut une ballade en montagne pour disserter avec un ado sur les notions de bien, de mal, de guerre, de trancher des créatures.

 

Mon regret reste la partie loot et crafting. Je la déplorais déjà dans le jeu de 2018, et on se perd toujours dans les menus de God of War Ragnarök. Je crois que je souhaiterais moins de choix dans l’arbre de compétences, parce que je passe beaucoup trop de temps à réfléchir et à comparer les différentes options. On est heureusement loin de la complexité de celui de Horizon Forbidden West, mais cet aspect reste pour moi un frein à la progression. Quand je dis moins de choix, c’est que je suis content que de nouvelles attaques se déverrouillent au fil de l’aventure, mais je préférerais que leur apprentissage se fasse dans un ordre « imposé », pour plus de fluidité en réduisant mon incertitude.

 

God of War Ragnarök PS5 armures 2

Finalement, je la regrette pas cette armure d’Aquaman.

Vieux de la guerre

God of War Ragnarök, c’est bien. Mais c’est pas la monstre bonne ambiance. Si vous avez trouvé le ton du premier volet tristounet, malgré l’espoir qui y planait (si vous avez bien lu mon article précédent), préparez-vous ici à plus de violons. La dépression est palpable. Pour rappel, le « Ragnarök » dans la mythologie nordique c’est la fin du monde, du moins tel qu’il était connu. Ou plutôt DES mondes et de toutes choses. C’est pas la joie, quoi. Je ne suis pas expert en la matière, mais d’après ce que j’ai compris dans cet ouvrage de référence, le Ragnarök est un bouleversement avant un renouveau. En psychologie, on considère qu’une crise est une étape entre deux états stables, sans que celle-ci ne soit agréable à vivre pour autant. Une crise existentielle intervient à différentes étapes de la vie. Par exemple, lorsque son enfant devient autonome et prend progressivement son indépendance.

 

God of War Ragnarök PS5 éclair

Ah oui, c’est pas foufou en ce moment la météo du moral.

 

T’es le père ? T’es le fils ?

Comme je l’ai évoqué, Atreus a grandi et il demande à pouvoir faire ses propres choix. Il devient plus fort que dans le premier jeu, même s’il reste encore dans l’ombre de son père. Au cours de plusieurs dialogues, il taquine d’ailleurs Kratos en tentant de se mesurer à lui, sur le nombre d’ennemis abattus, par exemple. Kratos est donc confronté, comme tout parent voyant son enfant grandir, à des choix et des doutes. Face aux questions de son fils sur ses origines, il ne sait que répondre et décide progressivement de laisser plus d’espace à Atreus dans le choix de la direction à prendre dans leur quête.

 

God of War Ragnarök PS5 carte

…au vent
Des landes de pierres

 

Mais on sent bien que Kratos n’a pas la pêche. Certains moments empreints de mélancolie deviennent touchants et c’est Atreus qui se charge de remettre son Grec de papounet sur le chemin du présent. Mais il ne perd pas pied avec la réalité non plus. Au contraire, il tente de tempérer son fils qui prend des vessies pour des lanternes. Les deux personnages sont alors suffisamment bien écrits pour permettre de comprendre les enjeux de ces deux étapes de vie cruciales, où père et fils se redéfinissent individuellement et au travers de cette relation. On castagne, mais on déprime ; les violons et chœurs de Bear McCreary renforcent ce sentiment.

 

God of War Ragnarök PS5 rebond de hâche

Une des nouveautés de combat et de résolution d’énigme: les parois rebondissantes.

Au panthéon

Je ne sais pas si la crise du Covid a ralenti le développement de God of War Ragnarök, mais si c’est le cas tant mieux. Sony accueille ainsi un nouveau petit bijou (vendu un peu cher, peut-être) en exclusivité, avec suffisamment d’écart entre deux volets pour apprécier à nouveau la plongée dans cette quête initiatique. Celle-ci offre même la particularité d’y assister en tant que mentor. Un peu comme si nous avions été Obi-Wan Kenobi pour Luke dans un jeu sur Star Wars: Un nouvel espoir. J’ai hâte d’en voir le dénouement et je ne peux que vous recommander d’y jouer, si vous avez plus de 18 ans hein, petits coquins.

 

God of War Ragnarök PS5 canneau

Pour reconnecter entre père et fils, rien ne vaut l’attraction des bûches tyroliennes.

 

Je souhaite ardemment qu’un jour on puisse disserter sur l’apport émotionnel d’un jeu comme celui-ci. Et qu’on puisse expliquer aux masses (ignorantes, osons le dire) en quoi nous n’avons pas besoin de qualifier certains jeux de sérieux. Mais que l’écriture et le gameplay peuvent se mêler pour créer une expérience touchante et bouleversante, même si, sur l’écran, un type vient de se faire trancher en deux.

Note: dans la continuité/10

Testé sur PS5, également disponible sur PS4.

 

Author: Founet

A ne pas confondre avec le village vaudois, est à peine plus jeune qu’une Famicom. Vouant un culte à George, il découvrit son amour du jeu vidéo et de la techno allemande pendant les grandes années de Lucas Arts. De ses nombreuses heures passées à cliquer lui vient son humour absurde et sa cleptomanie. Frappé d’une mystérieuse malédiction, les machines semblent se rebeller lorsqu’il les manipule ou fait mine de les regarder. Founet ne roule jamais en-dessous de 88 miles à l’heure et rêve de maîtriser la télékinésie grâce à la Force. En attendant de passer maître Jedi, il joue à la Wii U. Accessoirement rédacteur en chef, quand il arrive à se faire entendre des autres, qui mettent le son trop fort, les farceurs.

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