La nostalgie est un facteur de vente. Notre mémoire ayant tendance à favoriser les moments agréables, faire appel à des souvenirs rattachés à une période heureuse, comme l’enfance par exemple, tend à plus facilement attirer notre attention. L’industrie du jeu vidéo et le marketing plus généralement utilisent de plus en plus cette ficelle pour garantir un engagement du public cible efficace. Il convient alors pour les consommateurs et consommatrices de s’assurer un esprit critique affûté pour ne pas tomber dans le piège de la… Pardon, vous dites? Les Tortues Ninja?!
Je veux bien qu’on m’assène de messages me remémorant à quel point mon enfance était une époque insouciante et colorée et c’est vrai que je suis sensible aux produits qui me la rappellent. Mais je déteste qu’on force le trait du « passage de témoin ». Combien de films sur ces dix dernières années sont allés rechercher d’anciennes gloires pour les remettre au goût du jour avant de les faire mourir sur l’écran pour pouvoir symboliser la transmission à la plus jeune génération? Beaucoup trop, je suis d’accord avec vous. Je n’ai pas besoin qu’on me montre les héros de mon enfance devenir vieux. Je veux pouvoir les garder dans une dimension atemporelle, dans laquelle ils vont continuer de vivre des aventures incroyables et sans fin. Humaniser les héros et les héroïnes à ce point, ne les rend pas plus intéressants. En revanche, lorsque l’on comprend un matériau d’origine, qu’on le retravaille pour trouver le bon équilibre entre nostalgie et ajouts de la modernité, dans ce cas-là je salue l’effort. Bienvenue dans Teenage Mutant Ninja Turtles : Shredder’s Revenge.
Scoop de tortue
Ou Les Tortues Ninja : La revanche de Shredder. Rien que ce titre fleure bon les années 90. Mais pour la suite, je l’appellerai Shredder’s Revenge, pour des raisons évidentes de coûts de l’encre sur l’écran. On travaille à l’ancienne chez Semper Ludo, on vient imprimer les caractères un à un sur votre écran. Alors, ne lisez pas trop vite svp. Pour remettre le contexte, je ne vous ferai pas l’affront de vous rappeler la « Tortue Mania » qui a déferlé en Europe avant que le bug de l’an 2000 ne vienne tout compliquer.
J’ai été en plein dedans. Je me souviens avoir dormi dans des draps housses aux couleurs des tortues et d’avoir blindé un sac de jouets au retour d’un voyage familial à Londres. Je me souviens aussi avoir fait une démonstration de ces jouets aux douaniers de l’aéroport qui étaient fascinés. C’était clairement une autre époque et ce n’est clairement plus la même ambiance dans les contrôles de sécurité. En fait, c’est plus le 11.09 que le bug de l’an 2000 qui a tout compliqué. Mais je m’égare.
Donc en plein milieu de cette déferlante sont, évidemment, apparu pléthore de jeux vidéo. Si le premier volet sur NES a acquis sa notoriété « posthume » par sa difficulté obsessive (on en a saigné des mains avec Mush), c’est surtout le jeu SNES que je garde le plus en tête. Teenage Mutant Ninja Turtles IV: Turtles in Time, adaptation de la version borne d’arcade qui ne portait pas le numéro 4 dans son titre. Intéressant de voir d’ailleurs les différences entre les deux aujourd’hui.
Cette pierre solide de la ludothèque de la Super Nintendo en a marqué plus d’un, puisque les équipes de Dotemu (qui se sont illustrée précédemment dans la remise au goût du jour d’anciennes licences avec Windjammers 2 et surtout Street of Rage 4) et de Tribute Games (dont la maîtrise du pixel art est devenu une marque de fabrique) ont décidé de lui rendre hommage avec Shredder’s Revenge.
Blabla carapace
Y aurait-il pu avoir meilleur mariage? Le tandem fonctionne aussi bien que la raclette et la viande séchée. La résultante est un petit bijou d’animation pour une jouabilité hyper fluide. Comme à l’ancienne, Shredder’s Revenge est un beat’em up classique et on peut y jouer en coopération jusqu’à six. On choisit sa tortue préférée (Donatello, y a même pas débat, t’inquiètes frère), ou l’un des deux nouveaux venus Maître Splinter qui sort enfin de sa tanière et April O’Neil parce que les demoiselles en détresse ça va un moment. Et on tapote le bouton de coups en progressant dans des niveaux qui débordent de détails.
Les ennemis du Clan Foot n’offrent pas une grande résistance et c’est plus par leur nombre qu’il faut les craindre. Mais ils représentent un défi parfaitement abordable par toutes et tous et particulièrement plaisant quand on enchaîne les prises. Un coup spécial devient très utile quand on débordé. Il se recharge progressivement ou en prenant quelques secondes la pause. C’est beau, ça va vite, mais pas trop, c’est fluide, des fois on ne sait plus où on est dans la mêlée, mais on ne se perd jamais. À la fin de chaque niveau, un boss offre un challenge un peu plus corsé, mais, à moins de jouer en mode Arcade très punitif, on revient à la vie après quelques secondes lorsque notre tortue mord la poussière.
On peut même le recommander en famille, j’ai eu l’occasion de le démontrer ici. Pas besoin d’être habile de la manette. Par contre, pour ceux et celle qui seraient moins passionnés, il vaut probablement mieux privilégier de courtes sessions afin d’éviter un côté un peu répétitif. Surtout que Shredder’s Revenge se termine à quatre joueurs en une petite dizaine d’heures, autant faire durer le plaisir.
Katana plus, y en a encore
Shredder’s Revenge est donc un peu court, mais voilà que Dotemu et Tribute Games sortent un DLC intitulé Dimension Shellshock. Pas de contenu « histoire » en plus, mais un mode « survie ». On doit y récolter des cristaux dans des scènes uniques qui se succèdent aléatoirement. À la fin de chaque vague d’ennemis, on peut choisir entre deux bonus (vie, puissance, métamorphose en boss, etc.) qui sera activé dans le prochain tableau. Lorsque tous les fragments sont récoltés, on passe au cristal suivant, dans un autre univers, avec un défi plus corsé. Le but est d’aller le plus loin possible en faisant les bons choix stratégiques. Si les points de vie tombent à zéro, on recommence, mais avec des bonus débloqués.
Le DLC propose aussi deux personnages jouables supplémentaires : Usagi Yojimbo et Karai, utilisables dans tous les modes. La seconde est une création originale pour le jeu, tandis que le premier est un personnage de comics qui avait déjà prêté main-forte aux tortues dans d’autres de leurs aventures. Ce n’est que le début du mille-feuille de clins d’œil qu’ont intégré les développeurs. C’est un véritable festival pour les fans. Tout y passe, des dessins animés aux films, en passant par les comics, les jouets, voire même les jeux vidéo précédents.
J’ai eu l’occasion de m’entretenir avec Frederic Gemus et Eric Lafontaine de Tribute, lors de la Gamescom cet été. Et je dois dire que de les écouter raconter leur vision du jeu était déjà passionnant, mais les entendre parler des tortues avec un accent québécois était tout bonnement irrésistible. Ils m’ont notamment indiqué qu’ils n’ont pas « les droits » pour parler des costumes issus de la version « Game Boy » des tortues, alors c’est un modèle appelé officiellement « vintage ».
Go ninja, go ninja, go!
Shredder’s Revenge est sorti en 2022, mais avec ce DLC on pourrait presque dire qu’il est sorti cette année, non? Parce que si c’est le cas, je pourrais le glisser dans mes « jeux de l’année ». J’ai adoré du début à la fin, des graphismes au thème musical de la série animée réorchestré. Comme je l’avais expliqué en podcast également, la nostalgie fonctionne très bien, mais le jeu a réellement autre chose à proposer. C’est une leçon de ce que la remise au goût du jour peut réellement apporter. Seul petit bémol sa durée de vie, si le côté Arcade vous parle moins. Mais pour 30 CHF avec le DLC, y a pas d’lézard.
Note: 9 Chevaliers d’écailles et de vinyle sur 10
Testé sur PC, disponible également sur Switch, Xbox One, Xbox Series X|S, PS4 et PS5.