1993. J’ai 9 ans. Je regarde Code Quantum à télé, je joue à Rebel Assault sur mon Pentium et dans un magazine Joystick que j’ai récupéré aux vieux papiers chez le voisin, il est question d’un point & click passionnant: Gabriel Knight – Sins of the fathers. Grimpez dans la Delorean, on se lance dans un retour vers le futur. 2015 n’est-elle justement pas l’année idéale pour ça?
Développé par Sierra, Gabriel Knight se voulait un point & click (pointer avec la souris et cliquer pour interagir avec l’environnement) plus mature que ce qui se faisait à l’époque. N’oublions pas que nous sommes en plein âge d’or du genre chez la concurrence: LucasArts (dont Grim Fandango, l’un des derniers digne représentant, ressort également en version HD actuellement). C’est la scénariste Jane Jensen qui se charge alors d’écrire une histoire mêlant intrigue et meurtres rituels vaudous, dans la moiteur de la Nouvelle-Orléans. Mais on reviendra vers cette dame plus tard. Parlons du héros d’abord. Gabriel Knight est un auteur en panne d’inspiration qui fait miroiter une gloire potentielle à son ami, le détective Mosely, pour pouvoir s’incruster sur les scènes de crime et ainsi s’en inspirer. Coup de chance, des gens se mettent subitement à mourir de manière étrange, rappelant d’anciennes pratiques vaudous. Le cœur bien accroché, contrairement à celui des victimes qui a été arraché, notre écrivain blondinet rencontre son premier cadavre, ce qui aura des conséquences insoupçonnées sur tout le reste de son existence (#Drama)…
A l’aide de son assistante Grace, qui se charge de faire des recherches sur les éléments qui lui sont apportés, Gabriel se lance dans une chasse aux sorcières qui l’amènera à explorer les quatre coins de la Nouvelle-Orléans, mais aussi à dépoussiérer son arbre généalogique, d’où le Sins of the fathers (SotF). Dans le numéro 45 de Joystick (janvier 1994, pp.68-71) dont je parlais précédemment (Wouaouw, 196 pages quand même!), le jeu obtient la fameuse mention « Megastar ». La qualité de son scénario « adulte », de son intrigue, de l’écriture des personnages et des musiques propres à chaque tableaux qui accentuent une ambiance pesante et inquiétante, sont les éléments mis en valeur pour justifier une telle marque de reconnaissance. Je partage cet avis et je me rend d’ailleurs compte que j’aurais presque pu faire un copier/coller de ce test. Quoique l’évocation de « la version floppy du jeu », vous aurait sûrement mis la puce à l’oreille (#Nostalgie).
J’ai toujours adoré le genre point & click. Day of the Tentacle, Sam & Max, Full Throttle, The Dig, Monkey Island, Indiana Jones & la Dernière Croisade ou Fate of the Atlantis, Simon le Sorcier, Space Quest, etc, j’en ai mangé à toute les sauces, enfin surtout celle de LucasArts, c’est vrai. Ce type de jeu implique nécessairement un triturage de méninges, obligeant des fois à explorer pendant des heures les moindres pixels d’une salle pour y trouver l’objet nécessaire à la suite de l’aventure. Bien sûr, en 1993 Internet est encore un produit de luxe, qui coupe la ligne du téléphone quand on l’utilise, donc pas question d’aller y trouver la solution lorsque l’on bloque. Surtout lorsque les énigmes n’ont ni queue ni tête. Dans Gabriel Knight ce n’est pas la même école. Ici, pas de « Utiliser [Max] avec [Tableau électrique] », pas de [Poulet en caoutchouc avec une poulie au milieu], ni de [Lapins mécaniques] à faire exploser sur un champ de mine. Si l’ambiance de SotF se veut sérieuse, le style des énigmes est d’ordre logique. Le jeu n’est toutefois pas dénué d’humour, mais lorgne plutôt vers le cynisme. J’ai quand même relevé quelques situations assez retorses qui demandaient d’essayer toutes les combinaisons possibles sans savoir vraiment ce que je faisais. Sérieusement, il faut avoir parlé avec toutes les tombes de sa famille pour qu’un écureuil vienne casser, accidentellement, le vase posé devant et pouvoir en récupérer le contenu? (du vase, pas de l’écureuil, voyons). A l’époque, j’aurais probablement passé plusieurs heures à chercher, laissé reposer le jeu, en discuter dans la cours de l’école, mais là je peux trouver la solution en deux clics sur Internet. OU ALORS, je profite de la fonction ajoutée à ce remake: le guide complet intégré dans l’interface du jeu (#yolo).
Un homme averti en vaudou.
J’aurais sûrement dû commencer par le début (#FuckLogic) en vous disant que le jeu dont il est question aujourd’hui est un remake. Pour le 20e anniversaire de la version originale, Jane Jensen, décide de lancer une campagne de financement participatif qu’elle termine largement. Le studio Sierra ayant fermé en 2004, après 25 ans d’existence et trois jeux estampillés Gabriel Knight entre autres, c’est en jouant sur la corde de la nostalgie des vieux joueurs que ce projet abouti. Le résultat est tout à fait plaisant et je peux sans problème reprendre les arguments évoqués dans Joystick à 20 ans d’écart. Les doublages collent bien au caractère du jeu, même s’il semble que nous ayons perdu Mark Hamill en cours de route pour l’inspecteur. Le ton (volontairement?) apathique de Gabriel lui donne un air (faussement) ténébreux (#swag) et contribue à un certain manque de rythme dont souffre parfois le tout. En revanche, l’ambiance reste très bonne. Un vrai travail de fond a été fait sur la culture vaudou et sur l’histoire de la Nouvelle-Orléans. Les animations des personnages vont de « rien à redire » à de rares « on a oublié de me doter d’un cou » et les décors, joliment travaillés, regorgent souvent de détails à analyser, parfois trop même. J’ajoute également que les derniers chapitres ont soufferts de fréquents plantages et que les phases de dialogues sont, à ce moment là de l’histoire, trop chargées. Vous pouvez encore questionner quelqu’un sur quelque chose qui s’est produit au début de l’aventure, sans lien aucun. Mais bon, #OSEF, le jeu est globalement très bon. N’y ayant pas joué dans les années 90, ce fût une bonne surprise.
Pourtant je reste chiffonné par le concept de remake. Oui, c’est une jolie refonte graphique (#OOTD), des comparaisons entre les deux versions sont accessibles à tous moments, d’intéressants ajouts « spéciale anniversaire » ont été fait en notes de productions, on y apprend d’ailleurs que quelques énigmes ont été modifiées car Jane Jensen voulait que « les anciens joueurs fassent de nouvelles découvertes« , mais est-ce que ça vaut vraiment la peine si on y a déjà joué? J’ai beaucoup de mal avec ces tendances très « GeorgeLucasienne » à retoucher une œuvre pour qu’elle puisse aussi plaire à la tendance du moment. Si le principe est archi-essoré au cinéma actuellement (Ghostbusters et Indiana Jones étant parmi les prochains à passer à la moulinette. J’ai mal, tellement mal), le jeu vidéo en emprunte une fois de plus les mêmes travers. En 2014, certains tweets de lycéens français, déconcertés par Victor Hugo lors de l’épreuve du bac, avaient défrayés la chronique avec l’interrogation suivante: La jeunesse serait-elle incapable de comprendre qu’un poème a été écrit de cette manière il y a de nombreuses années? Pourquoi en serait-il autrement pour le jeu vidéo? Demande t’on à repeindre la Joconde parce que son sourire n’est pas compréhensible par le public actuel? Comment Citizen Kane pourrait-il rester le « meilleur film de tous les temps », si on ne le montre pas parce qu’il est en noir et blanc? On ne ré-écrit pas Corneille (Pierre, pas le chanteur) parce que « va je ne te hais point » ça veut trop rien dire là! Si le jeu vidéo doit acquérir ses lettres de noblesses autrement que par une vague hype du moment (#hipster), je pense qu’il est de notre responsabilité d’amener les jeunes générations à découvrir d’anciens titres, de leur expliquer ce qui a changé entre temps et ainsi de leur permettre de comprendre ce qu’un contexte a comme effet sur un objet culturel. Considérer que ces jeunes ne sont pas capables de s’adapter à d’anciens mécanismes de jeu, c’est aussi les condamner à des jeux de plus en plus dirigistes (#VieuxCon).
Note: 7 vévés sur 10
N.B.: Les # sont purement là pour contrebalancer les coups de vieux que cette écriture m’a infligée.