Oubliez Zelda: Breath of the Wild, Resident Evil 7, Horizon Zero Dawn, For Honor, Halo Wars 2, Ghost Recon: Wildlands, Torment: Tides of Numenera, Nier Automata ou Mass Effect Andromeda*; le jeu de l’année c’est Thimbleweed Park.**
Comme un enfant à l’approche de Noël, qu’est-ce que je l’attendais ce jeu. Lorsque Ron Gilbert, l’un des illustres papas de Monkey Island, Indiana Jones et la Dernière Croisade et autre Maniac Mansion, s’est levé un matin en se disant « Tiens, j’ai oublié d’acheter du beurre, il faut que je sorte les poubelles et si je faisais un Kickstarter pour développer un jeu d’aventure comme on en fait plus? », à l’autre bout de la planète, je retenais mon souffle. Tel un McLeod sentant un autre immortel ou Obi-Wan percevant des millions de voix crier en même temps avant de s’arrêter d’un seul coup, je sentais que quelque chose se tramait dans le monde du jeu vidéo. Un point-and-click à l’ancienne était donc sur le point de quitter la gare, en embarquant dans le train de mon excitation.
Tumblrweed Park?
Bien sûr, vous qui lisez Semper Ludo, êtes des gens de bon goût. Vous avez certainement parcouru mon introduction d’un air suspicieux, habitués que vous êtes à ne pas vous laissez embobiner facilement, très certainement en vous lissant l’extrémité de la moustache d’un geste méthodique. Les statistiques montrent que 87% de notre lectorat a de belles moustaches. Vous avez donc raison de vous méfier, pourtant je vais vous dire pourquoi j’ai adoré jouer à Thimbleweed Park. Au delà de son accointance étymologique avec Benedict Cumberbatch, ça a été un vrai plaisir que de parcourir cette ville en enquêtant sur le meurtre d’un mystérieux Allemand. La première phrase du personnage faisant allusion à une « Wienerschnitzel », comment ne pas tomber immédiatement sous le charme? Malheureusement, après avoir avancé sur trois écrans, le germain se fait trucider et deux agents fédéraux sont dépêchés sur place pour élucider le crime. Petite parenthèse meta: le saviez-tu, les point and click ont acquis ces dernières années une réputation d’être un style dont seuls les Allemands seraient encore friands. Des studios et éditeurs en ont d’ailleurs fait une spécialité, comme Daedalic, par exemple. Quand Ron Gilbert assassine un Allemand en début de jeu, c’est donc une façon, à la fois de rendre hommage aux joueurs germaniques, qui sont d’ailleurs nombreux parmi les « backers », mais aussi d’estourbir ce cliché. C’est alors parti pour une vingtaine d’heures d’énigmes plus ou moins tordues, d’humour sarcastique et de références à la pop culture, aux jeux d’aventure de manière générale, mais aussi aux autre productions de Ron Gilbert. Son nom lui-même est cité à de nombreuses reprises. Puisque l’action se situe en 1987, l’âge d’or des jeux LucasArts n’a pas encore débuté (1990 pour le premier Monkey Island) et l’équipe de Terrible Toybox s’en donne à coeur joie pour jouer sur la corde du paradoxe temporel, voire de « l’inception ».
Timberlake Park?
En plus des deux agents fédéraux, Scully et Mulder Ray la blasée et Reyes le naïf, vous aurez à contrôler d’autres personnages, dont je préfère ne pas trop parler pour ne rien divulgâcher, excepté peut être Randsome le clown acide, déjà très présent dans la campagne de communication du jeu. Ce dernier est particulièrement bien écrit et c’est un réel plaisir que l’entendre maugréer à tout bout de champ. Sachez juste que vous aller devoir passer de l’un à l’autre, comme c’était le cas dans Maniac Mansion et Day of the Tentacle. La plupart des tâches pourront être effectuées par le personnage de votre choix, mais certaines énigmes nécessiteront d’en faire intervenir un en particulier. Je touche là l’un de mes regrets, car oui, j’en ai. Même si la mécanique est intéressante, rien n’aurait du, en principe, amener ces personnes à collaborer entre elles. Ce principe est donc amené un peu parce que « ça nous arrange, alors pose pas de question ». L’autre doléance concerne le fait que le tout est assez dirigiste. Un carnet de note par personnage vous dira continuellement ce que vous devez faire, sans vous donner les solutions pour autant, mais on aurait peut être préféré se dépatouiller un peu plus. Ce qui n’enlève rien à ces moments jouissifs où l’on va se coucher après avoir galéré sur une énigme et que l’on se réveille au milieu de la nuit en hurlant « MAIS C’EST BIEN SÛR! ».
Pulledweed Pork?
L’interface est donc d’un classicisme à en faire frémir les moustaches d’un Chopin (oui, Chopin lit Semper Ludo), les verbes d’action sont en bas à gauche et l’inventaire à droite. On clique sur le verbe définissant l’action à accomplir, que l’on combine éventuellement avec un objet en sa possession. Simple et efficace, même après 30 ans, contrairement à ce que certains hommes de peu de foi osent prétendre (oh oui, c’est à toi que je m’adresse là bas, fais pas genre, tu le sais très bien, tu te reconnaîtras). Dans le même registre des hérésies que de pratiquer le FPS à la manette, a-t’on idée de jouer un STR ou un point and click au pad?! Et pourtant, l’utilisation en est assez bien pensé, si toutefois il vous prenait l’idée d’y jouer sur Xbox One, car il est possible de faire défiler la liste des verbes à l’aide de la croix directionnelle et de passer directement d’un objet du décor à l’autre avec les gâchettes. Difficile de rater le moindre indice. Soyons tolérants les uns envers les autres, pauvre fous. Attention, amis du bon mot, car le jeu n’existe qu’avec des voix en version originale, mais tous les textes à l’écran sont traduits. Les thèmes musicaux offrent une ambiance particulière en arrivant à retranscrire une certaine lourdeur de l’Amérique profonde sans fioritures inutiles, ni sombrer dans une répétitivité pénible.
Un scénario prenant, un twist final qui vaut son pesant de Twin Peaks, des personnages caricaturaux, des situations rocambolesques et des références par palettes, Ron Gilbert et ses acolytes nous ont bel et bien pondu un produit du terroir, qui fleure bon le pixel. Contrairement à ce que pourrait laisser croire le titre asticoteur de cet article, Thimbleweed Park est un hommage, tout en sachant se réinventer. Vous qui avez été patient jusque là, je vous recommande d’attendre d’ailleurs la fin du générique lorsque vous aurez terminé le jeu… et de guetter aussi quelques jours avant la sortie du remaster de Full Throttle… [NdR: il est disponible]
Note: 9 singes à trois têtes sur 10
Également disponible sur Xbox One pour les plus téméraires et sur Mac et Linux. N’existe qu’en version dématérialisée. Devrait arriver sur PS4 dans quelques mois.
*En fait celui là vous pouvez vraiment l’oublier apparemment
**Et oui, on a prévu vous parler de tout ces jeux prochainement.