Je m’appelle Founet Threepwood et je veux devenir pirate. C’est le but de ma vie. Ou plutôt, je caresse cet objectif depuis que Microsoft a annoncé un jeu de pirates en exclusivité, lors de l’E3 2015. Trois ans plus tard, j’ai rongé ma jambe de bois d’impatience à chaque nouvelle déclaration et senti la brise gonfler un peu plus les voiles de mon espérance à chaque Gamescom, où nous avons pu le tester. Et le voilà enfin à quai !
Sea of Thieves avait tout pour se faire attendre. À commencer par le fait que Microsoft tient là une exclusivité, et une originale qui plus est. Pas besoin d’être homme de science pour se rendre compte que la Xbox One s’en languit depuis longtemps. Le jeu est jouable sur console comme sur PC, la compatibilité en ligne fonctionne parfaitement. Il s’agit également d’une production Rare. Pour rappel, il s’agit du studio à l’origine, entre autres, de Donkey Kong Country, Banjo-Kazooie ou GoldenEye, et les retrouver sur un projet de plus grande envergure a de quoi nous réjouir (après une période cantonnée à des remakes, reboots, ou « jeux pour enfants », comme Rare Replay, Killer Instinct, Kinect Sports ou Viva Piñata). Mais surtout, c’est un jeu de pirates !! Cet univers tellement riche, si rarement exploité sur nos écrans. Qui plus est, s’ouvre désormais à moi tout un champ lexical.
Un fameux trois mats
Depuis quelques semaines, je passe mon temps à raconter nos exploits marins, comme un vieux loup de mer, accoudé au fond d’une taverne enfumée, qui relaterait ses histoires éculées. « Nous » c’est l’équipage. On est quatre et on manœuvre le Dirty Josiane. Ce valeureux navire nous permet de voguer d’une île à l’autre, de transporter des denrées, accoster une plage pour déterrer un coffre, d’affronter des squelettes maudits ou d’initier une discussion avec des joueurs concurrents, au moyen des canons de bord, avant de leur piquer butins. Imaginez : notre fière compagnie s’est procurée une carte au trésor et après avoir rempli la cale de boulets (les munitions, pas les coéquipiers), de planche (pour réparer la coque en cas de coups durs) et de bananes (pour réparer les pirates), nous étudions la carte dans la cabine du capitaine pour déterminer un cap. Une fois l’île repérée, nous nous répartissons les tâches : la barre, les voiles, la vigie, les canons (ou l’accordéon ; très important l’accordéon). En suivant les courants du vent, nous arrivons à bon port, non sans avoir exploré deux épaves en routes. C’est alors les poches pleines de butin que l’on navigue sur le chemin du retour. Tandis que le ciel est clément, l’un d’entre nous insiste pour faire un détour pour résoudre une énigme qui devrait nous donner accès à encore plus de piécettes. Lanterne à la main nous explorons donc une caverne, jusqu’au moment où Monsieur Jorris remarque d’autres pirates sur l’île. Inquiets pour nos espèces sonnantes et trébuchantes, il retourne au bateau avec Monsieur Mush, alors que je continue ma fouille. La tension grimpe, proportionnellement aux nombres de boulets qui volent au-dessus des flots. Malheureusement, la bataille tourne en notre défaveur. Au prix d’un saut du haut de la falaise, je rejoins le Dirty Josiane pour prêter main-forte à mes camarades. Ceci ne suffira pas et l’eau monte. Nous aurons beau essayer de colmater les brèches, Poséidon réclame son dû et nous sombrons au pied d’une tour fortifiée en bois.
Baroud d’honneur, nous arrivons à remonter nos trésors et à les ramener sur cette même tour. Nous organisons notre garde, pendant que Monsieur Mush respawn auprès d’un nouveau Dirty Josiane et revienne nous chercher en bateau-stop. On l’entend pester à devoir naviguer et manœuvrer seul le trois-mâts et c’est dans un superbe coucher de soleil que nous le voyons surgir de derrière les rochers. Tout guillerets, nous rembarquons et mettons le cap vers le port pour, enfin, sécuriser nos trophées. Alors que la mer est calme et que nous passons en revue ce que nous aurions pu faire autrement pour éviter de couler, les flots se colorent soudainement en noir, une musique oppressante résonne et quelqu’un s’écrie : « KRAKEN ! ». Des tentacules géants sortent brusquement de l’eau est s’approchent dangereusement. Tous aux canons ! Au prix de vaillants combats, nous parvenons à prendre le large et regagner nos pénates, encore tremblants. Il est grand temps d’aller s’envoyer un grog à la taverne.
Une coquille de noix
Des moments épiques comme ça, j’en ai des tas en stock. Des histoires que l’on pourra encore se raconter au coin du feu, devant des novices aux yeux pleins d’étoiles (de mer). En revanche, pour un récit de ce type, il faut compter une ribambelle de pas grand-chose. On a souvent l’impression de percevoir une potentialité énorme dans ce jeu et d’être fréquemment déçu en se disant « Ah, c’est dommage, ça aurait été cool de pouvoir faire ça ». Sea of Thieves regorge pourtant de trouvailles ingénieuses dans son game play et son game design. Il n’y a, par exemple, presque aucune information en ATH (Affichage Tête Haute) sur l’écran, toutes les données utiles passent donc par une mécanique de jeu. Pas de petite icône qui indiquerait la direction et la puissance du vent, il faut surveiller les drapeaux ou le gonflement des voiles. Pas d’accès à la carte en appuyant sur une touche, il faut se rendre à la table sur laquelle elle est ouverte (mais reste lisible depuis le gouvernail en se penchant un peu). Pas de boussole, il faut sortir le compas de son inventaire, etc. Tout est pourtant compréhensible facilement et les interactions fonctionnent. Malheureusement, on a vite fait le tour des trois types de quêtes proposés et grimper les niveaux devient rapidement fastidieux. On explore des îles sur lesquelles il n’y a rien à faire, à part dénicher une fois ou l’autre un tonneau de poudre que l’on pourra revendre à un marchand, les coffres aux trésors que l’on ramène doivent aussi être vendus et ne peuvent jamais être ouverts directement, on ne croise que très peu de bateaux, ce qui laisse place à de longues traversées dans lesquelles on s’occupe comme on peut (« role play », sauve-nous), souvent en imaginant ce qui les milles et une choses qu’on aimerait pouvoir faire et qui pourrait être ajoutées dans un contenu supplémentaire à venir (Le supplice de la planche? Batailler contre les armées du roi? Abandonner quelqu’un sur une île? Se faire un radeau en attachant deux tortues ensemble? Ouvrir une tête de singe géante en lui enfonçant un coton-tige dans l’oreille? Voler un bateau? Etc.).
La croisière s’excuse
Lorsque l’on jette un œil au forum officiel du jeu, tous les topiques en tête de liste font preuve de demande de remboursement et de mécontentement. Les joueurs sont grincheux, la mutinerie gronde. Difficile de ne pas comprendre cette réaction, le jeu étant en développement depuis si longtemps, qu’il était en droit d’espérer un résultat plus étoffé. Pourtant, on a envie d’y croire. Notre équipage se réunit encore régulièrement et on rigole bien. Il m’est d’avis que Sea of Thieves est un jeu d’ambiance. À savoir qu’il crée un contexte dans lequel c’est l’interaction entre les joueurs (que ce soit la collaboration, ou ce qu’on se raconte durant le périple) qui en fait l’essence principale. Naviguer procure une sensation de calme, où l’on se laisse presque bercer par le rythme des vagues, en admirant la qualité de l’eau dont on ne se lasse pas, avant d’entrer dans un maelstrom de panique, car on se fait attaquer (ou on décide d’attaquer, c’est selon). On a donc toujours envie d’y croire. Vu le potentiel de ce jeu, il nous est impossible de ne pas envisager une amélioration toute prochaine. Rare a d’ailleurs annoncé une vidéo qui devrait sortir cette semaine, dans laquelle ils détailleront leur vision pour la suite. SoT est probablement un jeu à considérer sur la durée et qu’il ne faut pas lâcher pour le moment. On refera un point après les déclarations à venir.
Le hollandais somnolant
Les plus âgés parmi vous se souviendront certainement qu’il y a quinze ans, monter de niveaux dans World of Warcraft prenait du temps, qu’il n’y avait pas de « raccourcis » pour atteindre le maximum (comme ça peut être le cas parfois aujourd’hui), ce qui avait justement conduit certains à encourager le marché du farming chinois. Malgré un contenu varié et diversifié. Est-ce que cette dernière production Microsoft ne souffrirait donc pas du mal des joueurs actuels, habitués à avoir tout et rapidement ? Ceux-ci oubliant de considérer un jeu comme un investissement sur le long terme, préférant consommer frénétiquement une myriade de jeux au gré des sorties ? Se contenter de cette justification serait encore trop simpliste. Il faut que je sois honnête et réaliste, mes petits moussaillons : je kiffe Sea of Thieves ; ou plutôt j’ai ENVIE de kiffer Sea of Thieves. J’avais de grosses espérances pour ce jeu et je refuse de les voir englouties dans les abysses, juste comme ça. Mais en même temps, je ne peux pas vraiment vous conseiller de l’acheter pour l’instant. C’est uniquement dans les mois à venir que l’on saura vraiment si on a à faire au plus grand Capitaine pirate de tous les temps, ou à un marin d’eaux douces en grenouillère Petit-Bateau. Pour le moment il ne vaut pas encore ses 70 CHF. Aye aye !
Note : Pas encore/10