Pourquoi faisons-nous les choix que nous faisons? Pour quelles raisons optons-nous pour un cursus de formation de vétérinaire, au détriment de cette carrière de violoncelliste? Qu’est-ce qui nous pousse vers ce cornet de glace chocolat plutôt que vers celui à la vanille? La réponse de base tient en quelques mots simples: le chocolat c’est quand même nettement meilleur.
Ce sont des choix tout de même plus conséquents qu’un parfum de dessert que Don’t Nod nous demande d’étudier dans Harmony: The Fall of Reverie. Le studio parisien/canadien s’est fait une spécialité des jeux à choix multiples. Dernièrement, j’avais beaucoup apprécié me plonger dans l’hiver du Grand Nord dans Tell me why. Étant assez friand des productions du studio, j’étais assez confiant à l’idée d’embarquer dans cette nouvelle aventure. Celle-ci prend place dans le bassin méditer9ranéen, sur une île fictive, dans un futur relativement proche.
On y fait la connaissance de Polly; c’est nous. Mais elle s’appelle également Harmonie, lorsqu’elle voyage dans un monde parallèle à la rencontre des aspirations. Mais je vais un peu peut-être un peu vite, alors reprenons depuis le début, telle une voix off qui commenterait une image figée d’un début de film en disant « Ça, c’est moi et voilà comment j’en suis arrivé là ».
Polly Prophète
C’est donc préoccupé par le fait que sa mère a disparu sans donner de nouvelles que Polly revient sur l’île méditerranéenne (fictive) sur laquelle elle a grandi. Tout y est pareil et à la fois nouveau, puisque la grande corporation internationale MK s’y est aussi établie depuis, améliorant ainsi le quotidien des habitants par le progrès. Mais est-ce vraiment le cas? La disparition de la mère est-elle liée aux mystérieuses fouilles que MK a débuté sur l’île? Quelle est la signification du médaillon que Polly a trouvé dans la maison de sa mère? Avez-vous l’impression de lire le début d’une aventure du Club des Cinq? Toutes ces questions trouveront réponse dans Harmony: The Fall of Reverie et probablement plus vite que vous ne le pensez.
En touchant ce médaillon, Polly se téléporte dans une sorte de dimension parallèle, celle des aspirations de l’humanité. Celles-ci sont matérialisées sous forme d’avatars et influencent la direction que prend la race humaine depuis la nuit des temps. Lien, Vérité, Chaos, Pouvoir, Gloire et Félicité attendent les conseils de leur nouvel oracle: Harmonie (ou Polly, si vous avez bien suivi). C’est au travers de dialogues joliment illustrés que nous sommes amenés à faire des choix. Bien entendu, chacun d’entre eux aura des conséquences, plus ou moins graves et fermant l’accès à certains autres embranchements.
Enquête de noeuds
Harmony: The Fall of Reverie se distingue des autres « jeux narratifs à choix moraux » (tels que As Dusk Falls, Detroit: Become Human et autres Dark Pictures Anthology, par exemple) par le fait qu’on peut y voir l’avenir. Ou du moins en partie. Car toujours en mouvement est l’avenir, comme le dira Yoda. Polly a accès à un arbre des conséquences et peut distinguer la plupart des débouchés de ces choix. L’idée n’étant alors pas de faire un choix selon ses propres convictions, mais plutôt d’essayer de coller à une aspiration. Suivre la voie de la vérité confère des cristaux qui renforcent ensuite la hiérarchie des aspirations. Certains embranchements nécessitent alors de disposer de suffisamment de cristaux de l’une ou l’autre « faction ».
Je ne suis pas sûr d’adhérer à ce parti pris. Je salue l’innovation, mais j’ai eu l’impression de prendre plus de temps à préparer tout mon chemin à l’avance qu’à faire des choix selon les inclinaisons des aspirations. Dans un premier temps, je vais vous dire que Harmony: The Fall of Reverie m’a un peu perdu avec son histoire que j’avais l’impression d’avoir lue/vue/jouée un nombre incalculable de fois. Parent disparu, destin révélé, tu es l’élu Lulu, la méchante corporation très méchante, soulèvement du peuple, meilleure amie un peu gauche, amour de jeunesse retrouvée, relation parent-enfant à réparer, etc. Tout ces éléments m’ont paru éculés et placés là sous forme de prétexte pour dérouler l’idée des aspirations.
Au delà du réel
Si vous le permettez, je vais maintenant chausser mes lunettes de psychologue. Déjà parce que j’ai tapé tout le début du texte avec les yeux plissés et que c’est pas confortable, mais aussi pour proposer un niveau d’analyse un peu différent. Harmony: The Fall of Reverie est une mise en scène du principe (un peu galvaudé) de pleine conscience. Au-delà du courant bienveillant d’Instagram qui vous invite à déguster un grain de raisin en écoutant chacun de vos sens et de vos pensées, la pleine conscience encourage surtout à comprendre pourquoi nous faisons certaines choses. Et d’être en accord avec soi-même lorsque nous prenons des décisions. Je simplifie, mais c’est pour éviter le côté un peu mièvre.
Dans cette catégorie, Harmony: The Fall of Reverie joue habilement sa carte maîtresse, puisque c’est une mise en scène efficace. Le fait de savoir à quelle aspiration se rapporte chaque choix et de pouvoir se projeter dans l’avenir — donc en quelque sorte, faire un choix en ayant conscience que c’est pour suivre telle aspiration — relève d’une allégorie plutôt évocatrice, je lui accorde volontiers cela en plus du caractère design bien trouvé pour représenter ces aspirations.
En revanche, je me suis retrouvé face à un dilemme de compréhension déconcertant comme un éternuement qui ne vient pas. Est-ce que Polly sait la même chose que le joueur ou la joueuse? Car à un moment du scénario intervient un élément tragique (qui peut être évité, je crois), mais une longue période de l’histoire qui s’ensuit est consacré à Polly qui se lamente de n’avoir rien pu faire pour l’empêcher… Si moi j’ai pu lire l’intitulé du nœud, pourquoi elle non? C’est elle qui a ce pouvoir, non? Alors elle devrait être « consciente », non? Répondez-moi!
Prémonition Impossible
Il m’a fallu neuf petites heures pour arriver au bout de Harmony: The Fall of Reverie, en obtenant ce que je pense être la « bonne » fin du premier coup. La rejouabilité est assez limitée puisqu’il n’est pas possible de reprendre à un point particulier pour découvrir une autre conséquence. Une fois arrivé à la fin, il faut reprendre depuis le début. Je reproche surtout une prévisibilité dans l’écriture, à commencer par les noms de l’héroïne, « Polly » comme dans « tous » et « Harmonie » comme dans « ensemble ». Mouais, on a connu plus fin. C’est en y jouant la nuit, la fenêtre ouverte à la recherche du moindre courant d’air pour atténuer l’effet de la canicule, un verre de thé froid à la main, que j’ai trouvé un côté presque rafraichissant à découvrir le destin de cette île et de ses habitants. Telle la brise de ce moment, c’était un peu léger.
Note: 5 introspections sur 10
Testé sur PC, également disponible sur Switch, PlayStation 5 et Xbox Series.