Le soleil et l’acier [ Armored Core VI: Fires of Rubicon ]

À moins de vivre en ermite, vous savez que le studio japonais From Software trône au sommet de l’industrie du jeu vidéo depuis deux ans. Elden Ring a effectivement permis à l’écurie dirigée par Hidetaka Miyazaki d’exploser sur la scène internationale. S’il avait été opportuniste, le studio aurait alors allégrement surfé sur la vague et aurait tout misé sur ses fameux « Soulsborne », trop longtemps réservés à un cercle d’initiés. C’est tout l’inverse qui s’est produit, le premier jeu From Software à sortir après le GOTY indiscutable de 2022 opérant un retour à une licence historique du studio, en veilleuse depuis dix ans. Loin de l’heroic-fantasy et de l’ambiance grimdark qui définissent désormais From Software, l’équipe de Miyazaki revient à ses premiers amours : la SF et les gros robots qui défoncent tout. J’ai nommé Armored Core VI: Fires of Rubicon. Deux salles, deux ambiances, même maîtrise.

 

L’identité de genre des robots

Comme son titre l’indique, Armored Core VI: Fires of Rubicon est le 6e opus d’une licence née en 1997 sur PlayStation. Futuristes, nous plaçant dans la peau d’un mercenaire pilote de robot, les Armored Core sont des jeux de méchas japonais. Loin des EVA organiques d’Evangelion pilotés par une synchronisation neuronale, les robots d’Armored Core sont bien plus proches des tas de ferraille de Mobile Suit Gundam ou de Macross. Les méchas de la franchise de From Software sont encore plus éloignés des robots dotés de superpouvoirs à la Mazinger Z qui ont pour but de sauver l’humanité tout entière, les fameux « Super Robots ». Armored Core s’inscrit en effet dans la mouvance des « Real Robots », à savoir un genre de SF réaliste (voire hard-SF) imaginant les robots comme des armes militaires pilotés mécaniquement par des humains sur fond d’intrigues géopolitiques.

Si comme moi vous aimez apprendre des choses inutiles et surtout élaborer des taxinomies aussi complexes que discutables, je vous recommande cette excellente tentative de distinction (en anglais).

 

Un jeu qui ravira les fétichistes des gros robots.

Dark Souls, ce petit joueur

Une franchise de vingt-sept ans donc. Chaque génération de console ayant connu son épisode numéroté jusqu’à ce Armored Core VI: Fires of Rubicon. Ce dernier n’est pourtant pas le 6e mais le 19e jeu de la licence. Chaque opus est effectivement un reboot, accompagné ensuite de plusieurs suites explorant son univers particulier. Dark Souls et ses trois pauvres opus peut donc aller se rhabiller, la colonne vertébrale de From Software est faite d’acier, de boulons et de grosses mitraillettes ! Si cela répond déjà à une question essentielle (non, il n’est pas du tout indispensable d’avoir fait les dix-huit jeux précédents avant de se lancer dans Armored Core VI), nous ne savons pour l’heure pas si Fires of Rubicon sera à son tour complété par des add-on prolongeant son intrigue.

 

Un jeu qui affiche 50 nuances de gris.

Hardcorail

D’ailleurs, de quoi parle cet Armored Core VI: Fires of Rubion ? Autant le dire tout de suite, le contexte comme l’histoire du jeu sont extrêmement abscons et livrés par bribes. Oui, comme dans les autres jeux du studio, on ne se refait pas. Ce qui est sûr, c’est que nous sommes sur la planète Rubicon 3 (merci au passage à From Software de nous avoir épargné le titre Armored Core VI : Fires of Rubicon 3). Sur celle-ci, une guerre opposant des méga corporations fait rage. Balam Industries, Arquebus Corps, le Front de Libération de Rubicon et l’Administration des Fermetures Planétaires s’affrontent pour mettre la main sur une précieuse source d’énergie : le Corail. Le joueur incarne un mercenaire portant la matricule C4-621, aux ordres d’un certain Handler Walter. Après avoir volé l’identité d’un autre mercenaire décédé, nous opérerons sous l’identité de « Raven ». Contrats pour diverses entités, alliances et trahisons jalonneront l’histoire.

 

Quelque chose me dit que le bouton de l’esquive va chauffer.

L’ASMR de la guerre

Le scénario évolue à coups de briefings et de brefs dialogues concluant chaque mission. Le contexte géopolitique est dense et difficile à saisir sous tous ses aspects. Je vous rassure tout de suite, c’est ici l’ambiance qui prime. Les voix japonaises (c’est en VO que le jeu gagne tout son charme) qui articulent les noms de robots aux consonances germaniques sur des tons martiaux ont un charme inégalable. L’atmosphère sonore du jeu est exceptionnelle, des bruits des armes à ceux de la mécanique de votre robot en passant par les musiques épiques, c’est un véritable délice pour les oreilles.

 

L’interface est certes chargée, heureusement les sons nous livrent les indications essentielles.

Le Sekiro du futur

C’est donc au cours de brèves missions que l’histoire progresse. À chaque fois, on se retrouve parachuté dans un nouvel environnement pour accomplir un objectif principal. Dans des décors industriels ou ouverts, ces missions durent quinze à vingt minutes en moyenne. Nous sommes donc très loin du marathon que peut représenter une session d’un Soulsborne. Généralement, les ennemis croisés sur notre chemin ne sont que du menu fretin avant la confrontation avec une entité plus coriace, voire carrément dantesque. Dans sa structure, le jeu fait donc davantage penser à un Sekiro chapitré en instances qu’à Elden Ring.

 

Une proposition de romantisme industriel.

Contemplation mégastructurelle

Armored Core VI: Fires of Rubicon est avant tout un jeu d’échelles. Ses niveaux à explorer, ses panoramas et ses ennemis brillent par leur gigantisme. Mégastructures industrielles littéralement immenses, paysages dévastés dégageant un romantisme gris : From Software démontre une nouvelle fois sa capacité à créer de l’emphase par les environnements et une sublime direction artistique. Visuellement, le jeu donne l’impression d’arpenter les mondes imaginés par le mangaka Tsutomu Nihei (BLAME!, Biomega), ce qui n’est pas pour me déplaire.

 

Imaginez, un Dark Souls en vitesse x4 et en quatre dimensions.

Dark Souls sous speed

Mais vous le savez, si on lance un jeu From Software, on s’attend surtout à vivre des sensations uniques manette en mains. Sur ce point, Armored Core VI: Fires of Rubicon est également un régal. Nerveuse, exigeante sans être décourageante, la jouabilité est irréprochable. L’essentiel du gameplay réside en la maitrise de l’esquive et de l’utilisation des quatre armes qui peuvent équiper notre robot : une dans chaque main et deux autres sur les épaules. On retrouve une barre d’énergie (endurance) et la possibilité (limitée en nombre) de se soigner. En clair, il s’agit d’un Soulsborne sous speed, et aérien ; votre robot disposant d’un jet pack et d’un boost vous faisant virevolter à toute allure.

Les affrontements exigent ainsi une grande réactivité, un déplacement constant, une gestion des munitions, du rechargement des armes ainsi que de l’endurance. Vous avez l’impression que ça fait beaucoup ? Vous avez raison, mais on se fait rapidement la main en quelques sessions de jeu.

 

Robonheur.

Pimp my mecha

J’ai vu beaucoup de personnes se plaindre de la difficulté du jeu (qui, studio oblige, ne propose pas de modes de difficulté). J’avoue avoir de la peine à saisir le reproche. Le jeu offre la possibilité de personnaliser son robot (que serait un jeu de mécha sans garage pour le « pimper » ?). Au fil des missions, le joueur gagne des crédits et débloque des composantes. En bref, il est possible de modifier son robot des pieds à la tête et jusque dans ses entrailles. Arme de mêlée, canons laser, anti-bouclier, fusil à pompe, gatling, lances missiles, bazooka… Les armes sont innombrables.

 

Quand on vous dit que tout est question d’échelle.

 

Il en va de même du reste. Pieds, corps, bras, tête peuvent être lourds ou léger, résistants ou maniables ; il est même possible de transformer le bas de son robot en quadrupède ou en tank à chenilles mécaniques ! Moteur, puces (gagnées dans des arènes, facultatives mais essentielles) et batteries permettent quant à eux de modifier notre puissance, nos capacités, notre énergie et la vitesse de sa consommation. Si vous éprouvez des difficulté dans une mission, un simple passage au garage devrait suffire à trouver une composition plus adaptée.

Commerce équitable

Chaque composant peut ensuite être revendu au prix d’achat vous permettant de tenter d’autres combinaisons sans perdre de crédit au passage. Pour autant que vous ayez acheté des pièces, il est même possible de modifier son robot entre deux checkpoints, afin de ne pas avoir à recommencer chaque mission au début si vous désirez faire des ajustements avant un boss.

Bien évidemment, il est également possible de peindre toutes les parties du robot à sa guise et d’y appliquer différents stickers. Je dois bien l’avouer, je trouve personnellement une dimension quasi pornographique à triturer et à astiquer ainsi mon tas de ferraille pour être le plus beau sur le champ de bataille. (ND Plissken : la mécanophilie, ce fléau des temps modernes…)

 

Dit Doctisimo, est-ce normal de jouir par les yeux ?

Plaisir immense, même en solitaire

Je crois que vous l’aurez compris, j’ai adoré arpenter Rubicon 3. Et même si je n’ai pas encore touché au new game plus, qui n’augmente pas la difficulté mais propose d’autres embranchements narratifs, ni au multijoueur (n’étant pas en possession du PlayStation Network) qui permet de faire des duels de robots, j’ai déjà pris un immense plaisir à me perdre dans ce contexte géopolitique. J’ai ressenti une forme d’extase au moment de triompher des ennemis les plus coriaces et je me suis délecté des panoramas grandioses. Voilà un jeu qui n’a pas volé son prix du meilleur jeu d’action aux derniers Game Awards. Maintenant, vite, les DLC !

Note: 10 orgasmes par minute / 10

Testé sur PS5 et disponible sur PS4, Xbox One, Xbox Series et PC

 

 

Author: Cygurd

Un jour, quelqu’un l’a appelé « Cygy ». Depuis, Cygurd boit son café matinal, aromatisé d’une lichette de whisky, dans le crâne de cet imprudent. Pourtant, il a un bon fond, à la base. Il aime la nature et vit dans un paisible hameau. En faisant jouer ses relations et son talent pour la filouterie, il s’est arrogé l’accès principal au réseau électrique du village. Ce ne sont pas quelques diminutions de l’éclairage public qui allait l’empêcher d’explorer des titres qui l’ont marqué à vie, comme Planescape Torment, Duke Nukem 3D, F-Zero GX, Monster Hunter World, Zelda A Link to The Past, ni de se découvrir une passion pour les jeux de From Software. Mais soucieux de son prochain, Cygurd organise régulièrement des sessions pour les enfants de son village et transmettre sa passion. Il sait que c’est ainsi qu’il préparera une fière et robuste relève. Il nous fait parvenir ses écrits et sa bonne parole par busards voyageurs, et ça, c’est la classe.

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