The Thaumaturge est un jeu de rôle, d’aventure et d’enquête à l’ambiance lovecraftienne. Sorti le 4 mars dernier, il a été développé par Fool’s Theory et édité par 11 bit studios (qui ont notamment développé This War of Mine, 2014, et Frostpunk, 2018). Dans cet opus, vos recherches vous feront naviguer entre ésotérisme, intrigues de cour, histoires de famille et ambiguïté morale à l’aube du XXe siècle. Son histoire est aussi riche que son ambiance est sombre et mystérieuse.
Les campagnes hallucinées The Thaumaturge
The Thaumaturge se déroule principalement à Varsovie, en 1905. Occupée par la Russie tsariste, la ville est un véritable melting pot où se côtoient des habitants polonais, des marchands juifs, des soldats russes, etc… Le contexte historique, politique et multiculturel est relativement central au scénario, loin d’un vernis purement esthétique. Vous incarnez Wictor Szulski, fils d’une bonne famille et l’un des thaumaturges du titre. Ces derniers, mi-sorciers mi-érudits et re mi-ours derrière sont, entre autres, capables d’interagir avec les Salutors, des entités surnaturelles aussi variées que puissantes, totalement invisibles pour le commun des mortels. Toutefois, ces capacités suscitent des émotions contradictoires, tantôt ostracisées pour leurs dons « contre nature », tantôt révérés pour leur savoir et leur maîtrise d’êtres impalpables et extrêmement funestes.
De retour dans votre ville natale après le décès de votre paternel, ses funérailles vous laissent un goût amer. Surtout si comme moi vous passez par la case prison pour avoir osé démonter des soldats du tsar avec une bande d’ouvriers révolutionnaires. Chassez le naturel, il revient au triple galop, à plus forte raison pour les beaux yeux d’une intrigante demoiselle, aussi énigmatique qu’audacieuse. La politique, ça tient à peu de choses. Mais libre à vous de trahir la dame, d’envoyer les prolétaires à la mort, voire même de vous ranger au côté des impérialistes ennemis du peuple. Le jeu vous offre une marge de manœuvre conséquente. Malgré votre mésentente peu cordiale, vous déciderez d’enquêter sur la mort de votre père, et d’en tirer les conclusions qui s’imposent.
Le Nécronomicon pour les noobs
Concernant le gameplay, The Thaumaturge est somme toute classique. Vous pouvez vous déplacer à votre guise entre des murs invisibles qui encadrent votre aventure, pour le meilleur et pour le pire. D’un côté, c’est agréable de ne pas se perdre dans un enfer procédural infini, et parallèlement cela aurait grandement profité à l’ambiance tentaculaire et au concept même d’enquête. De plus, ces limites auraient gagné à être diégétiques, avec par exemple des barrages de police et/ou des villageois en colère. Après, j’ai totalement conscience que de tels choix auraient demandé un temps de malade et un pognon de dingue à mettre en place en fonction des choix du joueur. Mais quand même, des murs invisibles en 2024 !! [NDTeiki : aucun respect pour le droit des murs à la visibilité] Toutefois, si comme moi ça ne vous choque pas vous devriez pouvoir y survivre.
Les combats se font au tour par tour, avec l’aide de vos Salutors. Non, ce n’est pas de la triche, c’est du pragmatisme. Vous pourrez choisir entre quatre actions, qui varient en fonction des circonstances et de vos compétences. Des attaques faibles et rapides, des attaques fortes qui doivent être préparées pendant un tour, des altérations d’état, des attaques mentales, vos choix s’avéreront cruciaux. Pareil pour l’entité que vous invoquez. Le choix de votre acolyte pourra dépendre de ses capacités (gros dégâts, soins, état…) ou des défenses de vos adversaires, qu’un seul de vos sbires pourra briser. Concernant les enquêtes, c’est relativement classique : vous découvrez des indices que vous stockez dans votre journal, et lorsque vous en avez accumulé assez Wictor en tire des conclusions.
Inquiétante étrangeté
La direction artistique de The Thaumaturge est clairement son gros point fort. Les pinailleurs parleront de l’uncanny valley concernant certains personnages et leurs interactions, mais ceux-là sont des chipoteurs. Et nous ne sommes pas là pour nous battre à coups de saucisses froides. D’autant que, malgré un photoréalisme discutable, certains détails font mouche. Lorsque Wictor est souffrant, les coulées de sueur sur son visage, ses cernes, ses yeux rouges et sa tignasse en bataille nous font parfaitement ressentir la fièvre qui l’habite. De plus, les expressions faciales sont particulièrement parlantes. Enfin, certaines séquences, comme celle de votre beuverie à la vodka et à l’absinthe dans une taverne est particulièrement intéressante visuellement.
Les décors sont splendides. Des extérieurs façon « far-East » aux intérieurs variés, chaque environnement raconte quelque chose et pose une ambiance. On pourrait également relever le pouvoir qui vous permet de savoir exactement où vous devez vous rendre. Aussi utile qu’agréable, j’avoue l’avoir parfois trouvé un peu dirigiste. La musique est également très immersive et s’adapte plutôt bien au contexte. Mais le gros point fort du jeu, ce sont les personnages. Très humains, tant dans leurs qualités que leurs défauts on se surprend à ressentir de l’empathie pour ces pauvres diables malmenés par la vie. Sans être une étude sociologique sur le déterminisme social, on comprend tout de même que les circonstances ont énormément d’influence sur les différents protagonistes. Et quel plaisir d’interagir avec ce bon vieux Grigori Raspoutine !
Il est fier comme s’il avait un bar-tabac
Dans The Thaumatuge, les Salutors se lient aux humains par des failles psychologiques. Véhémence, témérité ou encore sournoiserie sont apparemment autant de portes d’entrée à la cohabitation avec ces entités. La faille principale de notre bon Wictor est la fierté. Beaucoup de PNJ insistent sur ce talon d’Achille au fil des interactions. Dans certains dialogues, vous disposerez d’une réponse « fière », qui fera monter votre jauge de fierté. Si elle est trop basse, certaines réponses ne seront pas accessibles. Néanmoins, tout dans le jeu cherche à vous faire comprendre qu’elle pourrait vous mener à votre perte si vous vous abandonnez à elle. Les choix moraux sont également légion et auront une importance non négligeable dans la suite de votre partie.
Votre expérience vous permet de débloquer des compétences. Celles-ci sont classées dans quatre catégories : cœur, esprit, action et parole. Elles peuvent s’avérer utiles concernant les dialogues, l’examen d’indices ou encore les combats. Certaines d’entre elles vous permettront de bénéficier de bonus que vous pourrez assigner à vos attaques. Ces bonus peuvent s’avérer cruciaux dans l’établissement de votre stratégie. Par exemple, vous pouvez augmenter les dégâts causés par « souffrance » tout en vous octroyant des soins pour chaque ennemi atteint par cet état. Toutefois, toute autre forme de soin sera largement diminuée pendant le combat en cours. Il est donc indispensable de réfléchir à une tactique cohérente pour ne pas se tirer une balle dans le pied.
Le Salutor se cache dans les détails
En conclusion, The Thaumaturge est un très bon jeu. On pourrait pinailler sur des graphismes discutables, des mécaniques d’enquête loin d’être révolutionnaires, les limites de la liberté dans les décors ou encore le pouvoir « boussole » quelque peu abusif. Mais ce serait selon moi passer à côté de ce qui fait le sel de ce jeu. Des personnages réalistes, des décors immersifs, une ambiance glauque, un contexte sociohistorique aussi intéressant qu’inexploité… En gros si le photoréalisme 4k n’est pas votre priorité et que vous êtes tolérant concernant certaines mécaniques un peu datées, foncez, c’est de la bonne.
Note : 8 possessions démoniaques/10
Testé sur PC, disponible sur PS5 et Xbox series