Sale époque. Le peuple peine à faire confiance au gouvernement, à la science ou la médecine. Dans de nombreux pays, le doute s’insinue parmi les masses. Les réseaux sociaux propagent des fake news à toute vitesse. Des décisions sont prises, puis contestées. Trump pourrait s’accrocher au pouvoir d’une manière ou d’une autre. Attendez, on parle toujours de jeux vidéo là?
Watch Dogs restera toujours pour moi associé à ce moment où on a cru que la mablette de la Wii U allait servir à jouer autrement. Et que ce jeu d’Ubisoft allait représenter l’exemple parfait de ce changement radical. Et finalement non. Watch Dogs Legion, le troisième volet, sort aujourd’hui à une période charnière, la fin d’une génération de console. Mais également après des années d’une formule éculée par l’ensemble des jeux Ubisoft. Le changement c’est maintenant?
London is recalling
Peut-être que oui! Vous savez sûrement comme j’ai à cœur de critiquer les gros studios qui sortent des jeux AAA insipides, bourrés de microtransactions, en misant sur le phénomène de hype pour en vendre des palettes entières. D’habitude, Ubisoft est assez bon client, puisqu’ils restent champions dans la manière de recycler des éléments. À tel point qu’on pourrait parfois croire que tous leurs jeux d’action appartiennent à un seul et même univers. Le UGU : Ubisoft Gaming Univers (j’ai déposé le nom, on sait jamais).
Dans Watch Dogs Legion, on retrouve donc une milice surarmée qui se sent pousser des ailes (comme dans Ghost Recon Breakpoint), la ville de Londres (comme dans Assassin’s Creed Syndicate), des enquêtes narratives en réalité augmentée (comme dans The Division) et des quartiers à libérer pour redonner espoir au peuple (comme dans… à peu près tous les jeux Ubisoft depuis dix ans).
Fish(ing) and chips(et)
Pourtant, force est de constater que la recette a suffisamment été revisitée (comme ils disent avec l’accent du Sud dans Top Chef) pour innover. Oui, ça y est, on a enfin un monde ouvert chez Ubisoft qui propose des quêtes secondaires intéressantes et pas trop de « machins » à collectionner. Ou alors c’est le jeu qui m’aura guéri de cette fameuse condition qui m’obligeait à tout finir dans une zone avant de passer à la suivante. Là, j’identifie bien tous les trucs à faire, mais je me sens libre de les ignorer [NDZyvon: je n’ai pas joué à Legion, mais ça a toujours été des points assez sympas des deux précédents.].
La patte des Watch Dogs c’est avant tout le piratage informatique. L’élément qu’on ne retrouve pas chez les jeux voisins. La fonctionnalité est toujours présente et fonctionne plutôt bien. On court-circuite, détourne, vole, pilote, télécommande, ouvre, ferme, allume, éteint, à peu près tout ce qu’on veut. La ville de Londres est vivante et l’effort de modélisation parvient à offrir des environnements variés. Mais surtout, le level design permet de proposer des situations diversifiées. Par exemple, les fameuses libérations de zone s’accomplissent en remplissant des objectifs qui changent pour chacun des quartiers de la ville. Et à chaque fois, c’est l’occasion de découvrir le terrain pour préparer un plan d’action. Autrement dit, il ne suffit pas de monter sur une tour.
Cause toujours
On dit souvent d’un monde ouvert que « la ville est comme un personnage à part entière ». Dans Watch Dogs Legion, c’est la cause qui devient le personnage principal. En effet, on y incarne pas un héros, mais n’importe qui qu’on aura recruté au préalable. Tout comme dans le vieux titre de Quantic Dreams, Omikron – The Nomad Soul, on va donc chercher parmi les passants un individu qui possède les caractéristiques adaptées à la mission. C’est le gros argument de promotion du jeu et il fonctionne bien, malgré le fait qu’il ait été survendu. Tous les personnages se contrôlent de la même manière, tout le monde court à la même vitesse et se bat avec les mêmes animations. En revanche, les outils et les tenues permettent de débloquer de nouvelles façons d’atteindre l’objectif.
Forcément, certains personnages sont un peu « pétés », car ils ont accès à quatre ou cinq compétences qui permettent d’effectuer à peu près tout. Mais la diversité proposée dans les profils est agréable. D’une simple touche on obtient des infos sur n’importe qui. On peut alors enquêter sur eux, grâce à l’accès à leur agenda, trouver de quoi ils ont besoin pour être convaincus et ensuite accomplir un objectif pour les recruter. Je conseille d’ailleurs d’activer la fonction de mort permanente, qui ajoute un plus de piment puisque si votre fameux espion ultra-efficace prend une balle de trop, il ne sera définitivement plus disponible.
La continuité scénaristique est assurée par la « cheffe » de DedSec et son Intelligence Artificielle caustique qui donnent le ton et les ordres de missions. Dans les séquences cinématiques, le personnage est remplacé automatiquement par celui incarné à ce moment-là.
Tamise, mon gain
Parce que sinon, c’est pas la difficulté qui étouffe Watch Dogs Legion. Après une quinzaine d’heures de jeu, je traverse toujours le tout sans trop craindre pour ma vie. Par contre, je dois dire que j’ai adopté un style hyper discret, je ne veux pas tirer un seul coup de feu et c’est faisable! Enfin! Contrairement à tout ce qu’on avait pu voir comme annonce ou même à la Gamescom, les armes sont totalement accessoires. Sauf si vous voulez foncer dans le tas, mais ça, c’est vous que ça regarde.
Donc je prépare chacune de mes interventions. Je pirate les caméras pour trouver le meilleur chemin. Je m’assure que la voie est libre ou de la manière dont la dégager en faisant diversion. Et le combo drone de construction, qui permet de survoler une zone comme le Bouffon Vert de Spiderman, plus Arachnobot, grâce auquel on infiltre n’importe quel conduit de ventilation, représente souvent une solution optimale. Mais le level design, encore une fois, empêche l’ennui et la répétitivité. On a donc une impression de toute puissance dans cette ville de Londres en perdition. Et c’est un sentiment plutôt agréable, tout en évitant de tomber dans la redondance lassante.
Semperfide Albion
Dans son test du précédent volet, Zyvon se plaignait à juste titre du décalage entre l’idéalisme des personnages et la manière dont on l’incarne dans les séquences de jeu. Watch Dogs Legion a le bon goût de corriger cet aspect, puisque c’est l’organisation activiste DedSec elle-même qui occupe le devant de la scène. On sent donc plus d’unité avec la population de la métropole. J’ai aussi fait l’effort de ne pas voler de voiture aux gens qui n’avaient rien demandé, mais toujours est-il que ça crée une cohérence et une congruence bienvenues. On a donc plutôt intérêt à adhérer moralement aux motivations de la cause. Les thématiques abordées touchent dans le mile de l’actualité, avec la manipulation de l’information, les théories complotistes et la volonté de faire porter la responsabilité à l’immigration.
Big Brother is still watching…
Je détecte toutefois une légère ironie du contexte. Watch Dogs Legion pointe du doigt les risques inhérents à la collecte de données personnelles sans vergogne. Mais en parallèle, Ubisoft lance en sa nouvelle plateforme Connect qui propose, je cite le communiqué de presse : « Cette expérience de jeu, plus sociale et plus personnalisée, s’accompagne d’un fil d’actualité inédit regroupant les activités et les succès de jeu de ses amis tandis qu’une toute nouvelle fonctionnalité “Smart Intel” apporte à chacun des conseils et des recommandations vidéo personnalisés. Chaque joueur pourra également accéder à des données sur ses statistiques personnelles et son style de jeu pour continuer à s’améliorer, ou à se comparer à des groupes d’ami. e. s sélectionnés grâce à un système de classement amélioré. » Sous couvert de perfectionner de l’expérience de jeu, l’éditeur se sert de données collectées auprès de joueurs. Rappelons d’ailleurs que Sony a récemment déposé un brevet permettant d’optimiser le profilage des utilisateurs pour leur proposer ensuite des achats in-game adaptés à leurs besoins et potentiellement la taille de leur porte-monnaie. Hé ouais ça balance sur Semper Ludo.
Lésion d’honneur
Je n’attendais absolument rien de Watch Dogs Legion et j’ai été agréablement surpris. Ce n’est pas sur lui que je vais déverser ma bile de vieux joueur blasé. J’ai à déplorer quelques retours Windows intempestifs, mais sinon aucun bug, des temps de chargement supportables, un univers plaisant à explorer et un scénario prenant. Ubisoft semble avoir enfin compris la leçon en proposant une réécriture de sa formule type. Le terrain de jeu ne croule pas sous les quêtes secondaires absurdes et il est tout à fait possible de s’en dispenser. Une bonne surprise que voilà. Et l’implémentation du mode multijoueur en décembre devrait amener de la collaboration intéressante. On en saura plus en temps voulu.
Bien, bien, on arrive donc sur un bilan positif. Ah, attendez, qu’est-ce que c’est que ça? La boutique? Hum, on peut acheter des tas de costumes et de masques ? Alors qu’on a déjà payé le jeu au prix plein? Ah. C’est con, on est passé à deux doigts d’un franc succès. Un jeu sous le signe de l’ambivalence. Se révolter demande des efforts pour sortir de ses habitudes. Le changement c’est presque maintenant. Mais on y croit.
Note : 7 Hello IT sur 10
Testé sur PC. Également disponible sur Xbox One, PS4 et Stadia.
Les futurs possesseurs de console next-gen pourront profiter du jeu sans devoir le racheter une seconde fois.