Sans la banane [Split Fiction]

Auréolés du succès de It Takes Two, Josef Fares et son studio Hazelight entendent bien poursuivre leur exploration de la coopération à deux joueurs. Quatre ans après avoir exploré les affres d’un couple en pleine instance de divorce dans ce qui fut le jeu de l’année 2021, la firme suédoise entend nous plonger dans les méandres de multiples univers de fiction. Très prometteur sur le papier, Split Fiction nous a pour le moins divisés.

Chérie, j’ai rétréci le scénario

Autant le dire tout de suite, à l’époque où beaucoup criaient au génie, It Takes Two et son succès m’ont laissé un brin dubitatif. Je lui reconnaissais certes un vrai talent de mise en scène et de dynamisme, mais son histoire et sa narration m’avaient au mieux laissé perplexe, au pire exaspéré par un traitement caricatural des relations humaines. Il n’en demeure pas moins que j’avais pris un certain plaisir à découvrir cet univers, mélange réussi – à défaut d’être vraiment original – entre le film Chérie, j’ai rétréci les gosses et le jeu Unravel Two. Ce dernier restant à mes yeux l’une des meilleures expériences de coopération à deux joueurs.

 

Split fiction actions

L’essentiel de Split Fiction se joue en split screen et consiste à de coordonner pour ouvrir des trucs et activer des machins.

Éco, y’a quelqu’un ?

Split Fiction avait donc tout pour me plaire : le savoir-faire de Hazelight et une histoire nous entraînant dans une foultitude d’univers de fiction différents. Je visualisais déjà la chose. Exit les problèmes de couples traités avec la finesse d’un éléphant, bienvenue aux imbrications d’univers et les réflexions métadiscursives façon Umberto Eco. Surtout, je me réjouissais de proposer à Madame une nouvelle aventure à partager après un premier essai concluant sur Unravel Two. Une chose est sûre, Split Fiction a le mérite de me rappeler que les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent (et plus encore ceux qui les nourrissent de leurs propres fantasmes).

 

Split fiction vaisseaux

Le jeu alterne (trop rarement) les phases en 3D et en 2D, allant parfois jusqu’à flirter avec le shmup.

It Takes Two… minutes pour être déçu

Le troisième jeu de Hazelight Studios propose donc une nouvelle expérience exclusivement jouable à deux. Dans un univers à peine plus développé technologiquement que le nôtre, chaque joueur ou joueuse est aux commandes d’un écrivain. Mio et Zoe viennent de signer avec un nouvel éditeur, sorte de Jeff Bezos de l’édition (attention, cette phrase contient un indice sur l’identité du grand méchant de l’histoire). L’une est spécialisée dans les univers de fantasy, l’autre dans ceux de science-fiction. Rivales, celles-ci sont forcées de joindre leurs forces lorsqu’elles se retrouvent projetées et enfermées dans les univers qu’elles ont imaginés. Hazelight nous vendait donc un jeu maelström dans lequel on passerait d’un univers à l’autre en exploitant au maximum le concept d’imbrication ou de superposition des imaginaires. C’est précisément sur ce point que Split Fiction déçoit le plus.

 

Split fiction méchant

Le capitalisme, c’est maaaaal !

Split Happens

Quiconque a joué a Ratchet and Clank: Rift Apart sait ce qu’il est désormais possible de faire grâce aux SSD magiques qui équipent les consoles de salon. Les dernières aventures du plus célèbre des Lombax avaient ceci de grisant qu’elles nous faisaient voyager à l’aide de simples portails conduisant d’un monde à un autre sans aucun temps de chargement (jugez plutôt). Encore décoiffé par cette expérience, j’attendais de l’équipe de Josef Fares qu’elle exploite au moins en partie ces possibilités. Que nenni ! Dans Split Fiction, les mondes ne s’imbriquent jamais et se cantonnent à des niveaux linéaires clairement identifiés. Si l’on excepte une trouvaille visuelle dans les dernières minutes de jeu, Split Fiction se contente de compartimenter de manière extrêmement scolaire ses imaginaires.

 

Split fiction dialogues

Dialogues en carton et costumes commandés sur Wish.

Deux écrivains, zéro imagination

Ces imaginaires, parlons-on en ! Composé de huit niveaux (tous beaucoup trop longs pour leur propre bien, j’y reviendrai), le jeu ne brille jamais par son originalité. Là où It Takes Two proposait quelque chose d’atypique avec ses protagonistes tricotés, la quasi-totalité des visuels de Split Fiction est tristement fade. Les mondes de fantasy se résument aux lieux communs les plus éculés des univers de conte de fées et ceux de science-fiction feraient passer n’importe quel film de Luc Besson pour un sommet d’originalité. C’est seulement dans les histoires secondaires (et facultatives) qu’on s’écarte des mondes purement génériques et qu’on trouve enfin un peu de folie.

 

Splitfiction design

L’une des très rares séquences de SF qui se démarque par son design (bien qu’encore assez générique). Le reste est gris à mourir.

Les mille et un chapitres

La narration se structure donc en niveaux. Chacun de ces huit grands arcs se voit subdivisé en une dizaine ou une douzaine de chapitres. Vous avez bien compris : pendant plus de dix chapitres, vous restez dans le même univers et, la plupart du temps, vous y répétez les mêmes mécaniques. Rarement un jeu m’aura à ce point donné l’impression de ne pas savoir quand terminer ses chapitres. Il faut dire que ce sentiment d’étirement n’est pas aidé par des dialogues d’une banalité confondante qui rend n’importe quelle interaction entre Mio et Zoe à la limite du supportable. Après « la psychologie des parents pour les nuls » de It Takes Two, voici donc « la fiction pour les nuls ». La remarque vaut malheureusement autant pour la VO que pour la VF.

 

Split fiction cochons

Véritable highlight du jeu, le chapitre facultatif où il s’agit d’incarner des cochons qui pètent (des arcs-en-ciel). À vous d’en tirer des conclusions sur la qualité du jeu.

Respawn and Repeat

Un autre aspect du jeu qui n’aide pas à rendre ses niveaux digestes est sa difficulté. Pour peu que l’un des deux joueurs ne soit pas un gamer aguerri, certains passages peuvent s’avérer très compliqués. Entre la gestion de la caméra, le sprint, le double saut, l’esquive, les tirs avec la gâchette droite, les autres tirs avec la gâchette gauche, le bouton de bouton de transformation et le grappin qui s’active avec un autre bouton, il y a de quoi rendre le jeu pénible pour les novices. Madame n’étant pas née avec une manette entre les mains, certains niveaux et les affrontements contre des boss ont eu tendance à s’éterniser.

 

Splitfiction disco

D’accord, j’admets, j’ai pris du plaisir à ce mini jeu de danse disco.

 

Certainement conscients de cet équilibrage difficile, les développeurs ont d’ailleurs opté pour un système de respawn très généreux. Pour peu que votre partenaire soit toujours vivant, il vous suffit de marteler une touche pour revenir à la vie. Dès que les deux joueurs trépassent, la séquence recommence au dernier point de passage et sauvegarde l’état de la barre de vie des boss. Une chose est sûre, Split Fiction n’est pas la porte d’entrée idéale pour initier quelqu’un aux jeux vidéo.

Couple Therapy Simulator

Voilà donc un portrait bien sévère. Il faut dire que les sessions de jeu ont rapidement gagné des airs de corvée supplémentaire à la maison. Aux couples qui traversent déjà quelques zones de turbulences, soyez prévenus, il se pourrait bien que Split Fiction fonctionne comme un préquelle à l’histoire de divorce de It Takes Two ! Plus sérieusement, je retiendrai malgré tout une mécanique de coopération bien rôdée et des casse-tête plutôt efficaces (même si aucun n’arrive à la cheville de ce que pouvait proposer un Portal). Si vous souhaitez malgré tout tenter le coup, je vous conseillerais de jouer à Split Fiction avec des personnes déjà bien familiarisées avec les mécaniques des jeux de plateforme en 3D.

Note: 4 épisodes filler / 10

Testé sur Xbox Series X, également disponible sur PS5, PC, Switch 2

 

Author: Cygurd

Un jour, quelqu’un l’a appelé « Cygy ». Depuis, Cygurd boit son café matinal, aromatisé d’une lichette de whisky, dans le crâne de cet imprudent. Pourtant, il a un bon fond, à la base. Il aime la nature et vit dans un paisible hameau. En faisant jouer ses relations et son talent pour la filouterie, il s’est arrogé l’accès principal au réseau électrique du village. Ce ne sont pas quelques diminutions de l’éclairage public qui allait l’empêcher d’explorer des titres qui l’ont marqué à vie, comme Planescape Torment, Duke Nukem 3D, F-Zero GX, Monster Hunter World, Zelda A Link to The Past, ni de se découvrir une passion pour les jeux de From Software. Mais soucieux de son prochain, Cygurd organise régulièrement des sessions pour les enfants de son village et transmettre sa passion. Il sait que c’est ainsi qu’il préparera une fière et robuste relève. Il nous fait parvenir ses écrits et sa bonne parole par busards voyageurs, et ça, c’est la classe.

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