Les formes sans le fond [Stellar Blade]

L’année 2024 a été marquée par l’explosion de la Chine et de la Corée du Sud sur la scène internationale du jeu d’action. Outre Black Myth: Wukong¸Stellar Blade a également beaucoup fait parler de lui. Malgré un accueil public favorable (voire très favorable, Black Myth: Wukong a reçu le prix du public en plus de celui du meilleur jeu d’action aux Game Awards, pour ce que ça vaut), les sorties de ces deux titres ont été accompagnées de plusieurs polémiques médiatiques. Si nous n’avons toujours pas testé Black Myth: Wukong (Teiki, tu attends quoi ?), nous revenons aujourd’hui sur Stellar Blade. Les mois ayant passé, j’estime qu’il est enfin possible d’y réfléchir calmement. Alors, s’agit-il du digne héritier de Nier: Automata et de Bayonetta ou d’une chimère née du rêve humide d’un incel ?

Adam et Eve sont sur un vaisseau

Posons le contexte rapidement : Stellar Blade nous place aux commandes de Eve, un être doté d’une conscience dans une enveloppe artificielle. Cette sorte de cyborg est envoyée sur Terre pour sauver ses habitants des Naytibas, une espèce extraterrestre qui a transformé la planète en théâtre postapocalyptique. Aidée par un humain nommé Adam, Eve se réfugie dans la ville de Xion et va devoir trouver des hypercellules d’énergie pour venir à bout de l’envahisseur.

 

Stellar Blade influences

De la Bible à Gunnm, les influences sont aussi variées que nombreuses.

 

Je n’attendais rien de l’histoire de Stellar Blade. Je crois que c’est précisément pour ce genre de scénarios que l’expression « être déçu en bien » existe. Déçu, parce que l’univers n’a aucune originalité flagrante à proposer et déploie des éléments futuristes postapo pour le moins génériques sans jamais vraiment sortir du lot. En bien, parce que le l’évolution du scénario réserve une poignée de surprises plutôt bien écrites et vient complexifier l’apparente banalité du contexte. Les quelques retournements de situations sont certes tous attendus, mais la trame parvient malgré tout à nuancer nos représentations des forces en présence. Surtout, sans trop en dire, le jeu réserve un dilemme final qui impose un choix lourd de conséquences et qui mérite presque à lui seul d’aller jusqu’au bout de l’intrigue.

 

Stellar Blade Boss

Ce qui différencie les boss de l’héroïne : leurs formes ne sont pas au même endroit.

Pilote nier: automatique

Esthétiquement, le jeu lorgne très clairement du côté de Nier: Automata et ne s’en cache pas. Un récent DLC vient d’ailleurs proposer des costumes de plusieurs protagonistes du jeu de PlatinumGames. Mais si Stellar Blade peut aisément revendiquer cet héritage visuel, il a beaucoup plus de mal à s’élever au niveau de son illustre prédécesseur en termes de qualité d’écriture. La complexité du monde et de la psychologie des personnages n’arrive tout simplement pas à la cheville de celle de Nier: Automata et peine à nous ôter de l’esprit l’image d’un clone superficiel.

 

Shift Up Corporation armée rouge

Entendez-vous Zyvon entamer des chants du chœur de l’armée rouge ?

 

Puisque ses ambitions ne sont pas du tout celles-ci, je ne reproche pas ici à la narration de Stellar Blade de ne pas nous proposer un récit fragmenté et de multiplier les perspectives comme le faisait Nier: Automata. Ce que je lui reproche, c’est de proposer un ersatz de cet univers en se contentant d’être superficiel là où le jeu écrit par Yoko Taro explorait véritablement des thèmes complexes tels que la conscience, l’identité, l’absurde et l’existentialisme.

Chorégraphie d’influences

Malgré son manque d’originalité scénaristique, Stellar Blade parvient à nous donner envie d’en voir le bout. Parce que la plastique caricaturalement généreuse de sa protagoniste n’est pas son seul atout. On sent effectivement que la priorité des développeurs a été de proposer des mécaniques de combat pointues. Sur ce point, les développeurs de Shift Up proposent une expérience très agréable. Le système de combat ressemble à un savant mélange d’un Bayonetta et d’un Devil May Cry sur lequel on aurait fait tomber quelques pincées de Sekiro. Si vous n’êtes pas familiers avec ces licences, cela signifie que Stellar Blade propose un système de combat basé sur des combos très rythmés et exigeants.

 

Stellar Blade désert

Le jeu alterne entre couloirs et espaces ouverts. Ceux-ci sont un peu vides, mais très soignés.

 

Décrire avec précision le système de combat nécessiterait de très nombreux paragraphes tant il regorge de subtilités. Pour faire simple, je dirais que Stellar Blade est presque exemplaire dans sa courbe de progression. Oui, à terme, Eve dispose de dizaine de combinaisons possibles (à débloquer dans de nombreux arbres de compétences), mais non, on ne se sent jamais étouffé sous un nombre de possibilités qu’on n’exploitera jamais. Au contraire, ces différents mouvements, combos et capacités se débloquent à un rythme idéal pour pouvoir progressivement les assimiler.

 

Stellar Blade tableaux

Certains tableaux sont vraiment superbes.

Une gameplay encore plus profond que le décolleté

Ainsi, si l’essentiel repose sur l’esquive, la parade, la riposte et des ennemis présentant une jauge d’équilibre à vider pour pouvoir les châtier (on pense très fort à Sekiro), l’expérience engrangée nous permet ensuite de débloquer des combos complexes afin de liquider les Naytibas avec autant de style que Dante dans DMC et de souplesse que Bayonetta. La lame de Eve propose encore des compétences Bêta, qu’on peut activer grâce à une jauge qui se remplit en fonction de notre gestion des parades et qui font des dégâts importants. Ici aussi, la complexité est de mise puisque nous pouvons choisir entre plusieurs compétences Bêta : une qui balaie les ennemis qui nous entourent, une qui brise leur bouclier, une qui envoie une grosse décharge, etc.

 

Stellar Blade coeur de l'infection

« On est au cœur du mal Carpentier ! »

Sidekick ou un arsenal ambulant ?

À ce système de combat rapproché déjà très touffu s’ajoute la possibilité de transformer le drone d’Adam qui nous suit en permanence en arme de tir. Et comme on ne fait apparemment pas les choses à moitié chez Shift Up, ce drone présente des munitions très variées qui vont du simple fusil au rayon laser en passant par les roquettes ou la chevrotine. Pour finir, entre deux repos, Eve dispose d’une quantité de soins limitée à bien gérer pour pouvoir progresser jusqu’à la prochaine aire de repos.

 

shift up

Shift Up, ça rime avec Push Up.

 

Dans ces aires repos, le joueur peut dépenser son expérience pour débloquer des compétences, acheter des soins, des grenades ou des munitions, collectionner des cannettes de boisson (ne me demandez pas pourquoi), changer de musique, greffer des modules sur son squelette synthétique et jouer à la poupée en changeant de tenue. Voilà l’occasion pour moi de parler de deux aspects qui divisent.

 

Stellar Blade bestiaire

Le bestiaire a des petits airs lovecraftiens.

 

Premièrement la musique. En dehors des combats, celle qui accompagne les repos et l’exploration est bien plus proche de la mélodie d’ascenseur que de la virtuosité d’un Keiichi Okabe (compositeur de Nier: Automata, l’une des plus belles BO de tous les temps). Majoritairement chantées en yaourt avec une voix suave, ces chansons censées détendre ont sur moi l’effet inverse ; elles me crispent !

 

Stellar Blade bière

Ach ja !

Le tissu du scandale

Deuxièmement, les tenues, précisément à la base de polémiques au moment de la sortie du jeu.  Des polémiques que j’aurais accepté de commenter si Stellar Blade n’avait aucune qualité purement vidéoludique à proposer. J’aurais alors pu dire que la présentation de l’héroïne était putassière et racoleuse, au sens où elle aurait servi de prétexte pour appâter le joueur en manque de formes et l’arnaquer en lui vendant un mauvais jeu pour de mauvaises raisons.

 

Eve Noel

Noël, une période apparemment chaude en Corée.

 

En l’état, force est de constater que Stellar Blade propose une expérience solide et une jouabilité aux petits oignons. Si vous souhaitez ensuite opter pour telle ou telle tenue plus ou moins couvrante, cela vous regarde. Quant aux spécificités culturelles qui aboutissent à des représentations différentes des personnages masculins et féminins entre l’Europe, les États-Unis et l’Extrême-Orient, il s’agit d’un sujet de thèse universitaire et en tout cas pas de test de jeu vidéo.

Note : 7 Lololita sur 10

Testé sur PS5, également disponible sur PC à partir de juin 2025.

 

 

Author: Cygurd

Un jour, quelqu’un l’a appelé « Cygy ». Depuis, Cygurd boit son café matinal, aromatisé d’une lichette de whisky, dans le crâne de cet imprudent. Pourtant, il a un bon fond, à la base. Il aime la nature et vit dans un paisible hameau. En faisant jouer ses relations et son talent pour la filouterie, il s’est arrogé l’accès principal au réseau électrique du village. Ce ne sont pas quelques diminutions de l’éclairage public qui allait l’empêcher d’explorer des titres qui l’ont marqué à vie, comme Planescape Torment, Duke Nukem 3D, F-Zero GX, Monster Hunter World, Zelda A Link to The Past, ni de se découvrir une passion pour les jeux de From Software. Mais soucieux de son prochain, Cygurd organise régulièrement des sessions pour les enfants de son village et transmettre sa passion. Il sait que c’est ainsi qu’il préparera une fière et robuste relève. Il nous fait parvenir ses écrits et sa bonne parole par busards voyageurs, et ça, c’est la classe.

Share This Post On

Submit a Comment

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *