Bienvenu, Sam Porteur des Ponts [Death Stranding, PS4]

Death Stranding c’est beaucoup de choses : une simulation de marche en Islande, de livraison de pizzas, de construction de routes et de conduite de camion off-road, mais surtout une ode excentrique à notre besoin d’être en lien avec autrui. C’est aussi le dernier bébé d’Hidéo Kojima (Metal Gear Solid) et c’est splendide.

Le tout se déroule dans un setting post apocalyptique complètement barré qui s’autorise des dérives métaphysiques à la fois poétiques et terriblement kitsch. Death Stranding

Death Stranding c’est également Norman Reedus (Walking Dead) qui se balade avec un nourrisson transdimensionnel qu’il utilise pour repérer les zombies transdimensionnels, eux aussi. C’est Hideo Kojima, libre du joug de Konami, qui se permet de faire un jeu indie avec un budget de triple A. Et qui se paie un casting digne d’un blockbuster justement : Norman Reedus, Léa Seydoux, Mads Mikkelsen et Guillermo Del’Torro (oui oui, le réalisateur), entre autres.

Death Stranding, c’est un jeu vidéo aux airs de film contemplatif, un jeu online auquel on joue seul, mais toujours en lien avec les autres.

Death Stranding est, pour moi, un chef-d’œuvre, « mon jeu 2019 », mais dont l’originalité peut facilement rebuter.

Petite note, j’essayerai dans ce test de ne dévoiler que le strict minimum du monde de Death Stranding, des termes utilisés dans l’univers du jeu ou encore de son scénario. La découverte « in vivo » étant, à mon avis, un élément central de l’expérience que le jeu propose.

Death stranding ps4 décors

Les environnements sont tout bonnement à couper le souffle et c’est un pur bonheur de les explorer !

Un simulateur de marche… Mais pas que !

Le premier tour de force de Death Stranding est de proposer un monde dans lequel un livreur peut être un héros. Dans lequel ce gameplay fondamentalement très simple a un sens profond et vous donne sincèrement l’impression de participer à quelque chose de plus grand que vous, d’aider des gens qui en ont réellement besoin. Sam Porter Bridges doit livrer des objets d’un endroit à un autre et c’est l’un des seuls à être capable de le faire. Vous le dirigez très simplement avec les sticks directionnels. Grâce aux gâchettes de la manette, vous équilibrez la façon dont il gère la charge de poids sur ses épaules, vous rattrapez sa perte de stabilité lorsque vous dévalez une pente trop vite ou encore après vous être pris les pieds dans un caillou…

C’est réellement un simulateur de marche dans lequel vous devez toujours avoir une paire de chaussures de rab, un stock de Monster Energy drink pour vous sustenter (Clin d’œil à Idiocracy ou placement de produit éhonté… Ou les deux ?). Un exosquelette vous permettant de traverser sans encombre des rivières trop revêches ou une pente trop abrupte. Death Stranding c’est également conduire des motos ou des camions sur terrains accidentés jusqu’en haut d’une montagne en évitant les meta-zombies pour livrer de nouveaux caleçons.

Ce jeu est aussi paradoxalement une expérience cinématographique, philosophique et psychologique. Les aspects propres au septième art sont saisissants, tant au niveau de la réalisation technique, des cadrages, de la narration ou encore de l’implémentation (et du choix) de la musique. On en prend plein les capteurs sensoriels !

Des thématiques sérieuses y sont abordées : la mort, la solitude, la séparation et le contact humain, notre besoin intime d’exister dans le regard de l’autre, d’être utile et de donner un sens à nos actes. Au cours du jeu, nous rencontrons beaucoup de personnages non joueurs que nous apprenons à découvrir et à aimer (ou non). Les dialogues parviennent à les rendre vivants, malgré le fait que nous n’interagissons avec eux, la plupart du temps, qu’au travers d’hologrammes et de terminaux informatiques.

Death stranding ps4 cartons

Vous pourrez trimbaler vos cartons de pizzas sur une sorte de caddie anti-gravité très pratique (et qui peut aussi servir de skateboard façon Retour vers le futur).

C’est bien gentil tout ça, mais le gameplay ça dit quoi ?  

En quoi consiste précisément le gameplay d’un jeu de livraison post-apo ? Il varie entre une expérience contemplative d’exploration, des marches difficiles qui peuvent amener leurs lots de frustrations et qui nécessitent une certaine préparation (vivres, habits chauds, échelles de secours, etc.), des combats contre des mercenaires ou des zombies, de la conduite de véhicule, de la construction et à un certain point du jeu, si vous désirez certains trophées par exemple, une forme de grind des missions de livraison.

Ces différentes expériences varient également dans leur qualité d’exécution. Si la marche elle-même bénéficie d’une réalisation impressionnante, tant les mouvements de Sam sur les aspérités du décor paraissent réalistes, la conduite de véhicule, elle, semble beaucoup plus fantaisiste et par moment franchement folklorique. Cet aspect mis à part, elle peut tout de même être très fun. Personnellement, j’ai adoré piloter une moto dans ces décors surréalistes. La sensation est grisante et très immersive. De plus, les fails en conduite de véhicules donnent également lieu à des moments épiques qui peuvent osciller entre l’hilarité et l’envie de détruire sa manette, selon l’humeur initiale et l’importance de la mission en cours.

Et la marche ? Peut-on vraiment rendre attrayante une simulation de randonnée ? Je crois que oui. Je trouve que l’expérience est réussie principalement parce que les sensations sont très immersives, en raison de leur cohérence avec ce monde hostile. Tomber, glisser, se cogner, se faire emporter par une rivière, perdre un colis, s’épuiser, tomber de nouveau… Toutes ces expériences retranscrivent le quotidien douloureux et exténuant de « porter » (livreur de l’extrême si l’on veut bien) de Sam. On s’y croirait et la réussite d’une mission en devient réellement satisfaisante.

Les combats peuvent être vus comme étant anecdotiques dans ce jeu, mais restent plaisants une fois que l’on s’est fait aux contrôles dédiés, qui ne sont pas d’une finesse absolue, avouons-le. Si je n’étais pas emballé par les combats au début, j’ai commencé à y prendre plus de plaisir vers la moitié, ou les deux tiers du jeu, une fois avoir eu accès à certains équipements spécifiquement dédiés au bourrage de pif. De plus, comme le reste des éléments de gameplay du jeu, les affrontements ont l’avantage de s’intégrer parfaitement dans l’univers de Death Stranding. Ainsi tuer un être humain peut avoir des répercussions majeures et éliminer un zombie peut impliquer du sang, de l’urine ou des matières fécales… Cela paraît absurde ? Et pourtant cela fait partie intégrante du jeu et c’est tout à fait cohérent avec le lore inventé par Kojima & co. Ah oui, et vous pouvez également vous soulager dans la nature, ce qui aura l’avantage de créer un petit amas de champignons. Que d’autres joueurs pourront Liker. Si si.

Death stranding ps4 moto

Tous les véhicules du jeu arborent ce splendide schéma de couleur… D’accord j’avoue, tous les véhicules sont customizables et cette moto est juste le résultat de mes goûts douteux.

Une solitude connectée

Parlons un peu des connexions et des constructions. Pour vivre sa vie de Mike Horn, Sam dispose d’une ribambelle d’outils lui permettant de traverser un terrain accidenté (échelles, cordes de rappel ou encore zip-lines). Il peut réparer son matériel ou encore de se reposer à l’abri de la pluie (qui est mortelle et endommage votre matos). Le génie de Death Stranding est aussi dans l’échange. Car bien que l’on y joue seul, le monde dans lequel évolue Sam Porter Bridges est bel est bien connecté et partagé : nos constructions peuvent être utilisées par d’autres joueurs et vice-versa. Peut-être que votre cousin Jean-Paul enjambera votre échelle pour passer une rivière, que votre mamie Jeanine vous piquera votre camion pour aller faire un tour en montagne ou que vous-même emprunterez le parcours de zip-line que j’ai construit pour aller faire des livraisons en haut d’un sommet.

Nos actions ont donc des conséquences sur la vie d’autres joueurs, nous pouvons nous entraider indirectement, nous interagissons de manière décalée dans le temps, mais nous interagissons quand même. Un joueur passe sur votre pont ? Bam un Like. Un joueur a beaucoup apprécié votre pont ? Il peut s’arrêter pour vous donner 50 Likes. Et sur votre écran, une petite notification discrète peut apparaître vous informant : « Alfredo3000 a utilisé votre échelle », « TataBern@rdine1912 » a utilisé votre pont ou encore « beaucoup de joueurs ont apprécié votre route (3000 Likes) ».

Eh oui, car sous ses airs de jeu sérieux Death Stranding se la joue aussi simulateur de renforcement positif. Plus vous aiderez des personnages non-joueurs et plus vous construirez de structures utiles à d’autres joueurs réels, plus vous aurez de Likes. Et à quoi servent ces Likes ? Eh bien… À rien du tout, comme dans la vraie vie. Si ce n’est à se sentir utile et apprécié. Comme dans la vraie vie.

Death stranding ps4 sommet

L’impression de s’entraider entre joueurs perdus dans ce monde hostile fonctionne terriblement bien. On se surprend à aller construire une structure bien placée juste pour assister des gens que l’on ne croisera jamais et à sourire bêtement en voyant les notifications de Likes défiler sur l’écran. De même, la construction des routes est un effort collaboratif auquel plusieurs joueurs peuvent contribuer en déposant des ressources. Une fois la voie installée, chacun reçoit des Likes lorsqu’elle est empruntée. Perso, l’aménagement et l’utilisation des routes étaient l’une de mes activités favorites du jeu. Le sentiment d’exploration et de participation collaborative est tout bonnement génial.

Le système marche donc du tonnerre, à la fois pour nous inciter à collaborer et pour nous faire ressentir le rôle crucial de l’entraide dans cet environnement où même la pluie veut vous tuer. S’il nous fait aussi un clin d’œil sur notre relation aux plateformes de réseaux sociaux, le jeu l’aborde un peu à contre-courant. Loin de dénigrer l’importance d’un Like, il semble proposer au contraire l’idée que cela pourrait « être mieux que rien » dans un monde où les liens interpersonnels sont devenus quasiment inexistants.

Death stranding ps4 zipline

Death Stranding c’est ça : l’image absurde d’un type suspendu à une zip-line photonique, avec un bébé dans une bouteille accrochée à son ventre, le tout dans un décor splendide.

Un petit flirt avec le quatrième mur.

L’usage du système de Like à la fois dans les menus et les statistiques destinées au joueur, mais aussi dans la narration et dans les interactions avec les personnages non-joueurs, nous pousse souvent à mettre en perspective notre rôle de joueur et de questionner l’existence de différences et similitudes entre ce monde numérique et le nôtre. Le jeu s’amuse ainsi régulièrement à flirter avec notre principe de réalité, que ce soit dans des détails anodins de gameplay ou dans des textes abordant quasi directement le sujet. Je peux imaginer que cette approche puisse perturber l’immersion pour certains. Elle a pour moi au contraire participé au sentiment d’appartenance, à la fois à ce monde virtuel et à l’expérience partagée Death Stranding, à l’impression de vivre un moment vidéo ludique unique auquel s’associent pourtant des millions d’autres joueurs.

Death stranding ps4 Norman

Les cinématiques sont splendides, prenantes et souvent très longues. Il faut parfois prévoir une petite dizaine de minutes et certaines fois bien plus lorsqu’elles s’enchaînent. Kojima a l’âme d’un cinéaste et cela se voit

Alors on Like ?  

Alors c’est un chef-d’œuvre ? J’aurais envie de dire oui, si je ne me base que sur l’impression que le jeu m’a laissée, mais il faut lui reconnaître certaines lourdeurs ou simplement des éléments de gameplay qui auraient pu être améliorées. Néanmoins, ces problèmes restent minimes et pas du tout suffisants pour gâcher l’expérience. Le principal reproche tient selon moi la redondance de certains éléments, tel que les mini-cinématiques qui se déclenchent lors, par exemple, du chargement d’un paquet ou de la détection de zombies dans les environs. Si elles aident beaucoup à l’immersion au début de l’aventure, elles deviennent intrusives, lourdes et inutiles lorsqu’on les a déjà vues une bonne centaine de fois. Je suis probablement biaisé, mais ce serait mon seul reproche au jeu (avec la conduite loufoque des véhicules…).

Il me paraîtrait plus adéquat de dire qu’au sein du cadre de l’expérience très particulière qu’est Death Stranding, que ce soit au niveau du gameplay, de l’univers ou de la réalisation, le jeu n’a que très peu de défauts. Par contre, c’est un jeu qui se permet d’être ce qu’il veut. Il ne fait que peu de concessions et si l’on n’apprécie pas ses aspects les plus saillants alors il me paraît difficile de pouvoir se délecter du jeu dans son ensemble.

Comme dit plus haut, je pense qu’un jeu comme Death Stranding c’est quitte ou double. Le jeu est lent, long, contemplatif, loufoque, génial, débile par moments, énervant, satisfaisant, exaltant et également très excentrique. J’ai adoré ces aspects et j’en redemande. Mais si vous n’aimez pas un tant soit peu l’extravagance, le kitsch et les délires métaphysiques, alors il y a des chances que vous restiez imperméable à l’histoire et l’univers de Death Stranding.

Personnellement, j’ai fini le jeu après cent-cinquante heures, j’ai savouré la balade, j’ai avancé lentement, j’ai exploré et j’en ai gardé l’impression d’avoir vécu une expérience vidéoludique extraordinaire. Néanmoins, si je n’avais pas eu la possibilité à ce moment-là de prendre mon temps, je pense que l’aventure n’aurait pas été si agréable. Vers la fin du jeu, lorsque j’ai voulu grinder certains objectifs, j’ai commencé à ressentir un certain agacement face aux mécaniques de jeu ou aux fameuses cinématiques redondantes. Gardez toutefois à l’esprit que c’était après cent-vingt heures de jeu environ, donc cela reste très acceptable.

Pour résumer, Death Stranding c’est une expérience fascinante, brillante et déroutante que l’on adorera ou que l’on détestera probablement dans son entier, mais qui pourra difficilement laisser indifférent.

Comme vous l’aurez compris, personnellement j’ai beaucoup apprécié… Je recommande donc fortement avec 3000 Likes sur 10. Mais un conseil : prenez votre temps !

Disponible exclusivement sur PS4, mais annoncé sur PC à l’été 2020.

 

Author: Teiki

Recrue la plus prolifique du mercato du marché suisse romand du jeu de mots à 5 syllabes, Teiki (El Matador pour les intimes) est LE nouveau ancien rédacteur de Semper Ludo. Il gravit vite les échelons et grâce à quelques coups de langue bien placé, le voilà déjà en train de remplacer Founet à l’animation de Podcast. Son talent de marchandage s’est créé tôt dans sa jeunesse où il devint un pilier de l’échange d’objet inutile dans Everquest. C’est certainement cet événement qui l’oblige inlassablement à jouer à des jeux avec du loot vert, bleu, violet et orange. Ancien champion de pétanque sans cochonnet, lors d’un accident de roulade, il dû se reconvertir à la randonnée avec les pieds. Son corps est un temple où seules les personnes qui ont enlevé leurs chaussures peuvent entrer.

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