Naïf que j’étais. Je m’étais imaginé faire le tour de Lost Judgment assez rapidement. Et me voilà, quarante heures plus tard, devant le générique après avoir parcouru des rues japonaises pour enquêter sur un meurtre. Mais aussi faire du skateboard, chasser des OVNIS, caresser des chats, danser, manger, jouer à des jeux vidéo, plonger dans un univers virtuel, draguer, picoler, se battre, espionner, escalader, discuter. Beaucoup discuter. Énormément discuter.
Lost Judgment est donc un jeu d’action/aventure, dérivé de la série des Yakuza et faisant suite à Judgment (2018, qu’il n’est pas nécessaire d’avoir joué au préalable pour la compréhension). L’enthousiasme débordant de Marsouin (et d’ordre général également) pour le dernier volet (Like a Dragon) avait éveillé ma curiosité pour ce chapitre annexe. C’est notamment le côté enquête qui avait activé mon radar calibré sur les point and click. Dans la bande-annonce, il y avait de l’investigation et du kung-fu. Ça mon coco, c’est pour toi, m’étais-je donc dit. J’incarne alors le détective, et avocat repenti, Takayuki Yagami à qui l’on confie la mission de démanteler un réseau de harceleurs dans un lycée. En parallèle, ses anciens collègues doivent défendre un homme accusé de harcèlement sexuel dans un métro. Les deux affaires pourraient alors être plus liées que ce qu’il n’y paraît.
La loi de la jongle
Après huit heures de jeu environ, je me suis rendu à l’évidence: le nombre très élevé de quêtes secondaires allait rendre Lost Judgment très long à terminer . J’ai donc fait quelque chose que je ne fais d’habitude jamais et j’ai décidé de ne m’occuper que de la trame principale. Elle seule m’a demandé presque quarante heures, ce qui est plutôt impressionnant. Néanmoins, cette manière d’aborder le jeu m’a permis de faire émerger une faille dans sa construction. En effet, si cette histoire de meurtre et ses multiples rebondissements sont vraiment intéressants à suivre, le tout ressemble en fin de compte plutôt à un (très) long film interactif.
On y assistera à de (très) nombreuses cinématiques, entrecoupées de séquences de jeu. Celles-ci se résument pour la plupart à des aller-retour entre deux lieux pour que des personnages puissent se parler. Alors que dans la scène suivante, ils poursuivent leur discussion par téléphone… Ainsi qu’à des affrontements au kung-fu à la difficulté étonnamment élevée. Mais je reviendrai sur ce deuxième point plus tard.
Lost Judgment
Parce que si Lost Judgment prend des airs de mille-feuilles nippons, c’est en raison de sa multitude de gameplay différents, qui ne sont malheureusement exploités qu’à travers les quêtes secondaires. Dans le monde ouvert que représente la ville de Yokohama, il est possible d’accomplir des tâches tellement variées qu’il est difficile de s’ennuyer! Là où la plupart des jeux proposent des quêtes de livraisons en guise de trames secondaires, ici c’est l’inverse. Chaque fois que Yagami décide de mettre ses compétences de détective au service de la population locale, cela donne lieu à une nouvelle séquence de gameplay.
La plupart de ces missions sont bien écrites, intéressantes et même souvent drôles dans leur dénouement. La structure du jeu propose alors de « faire des pauses » dans la longue et parfois un peu barbante histoire principale, en se divertissant avec les quêtes secondaires inventives. C’est dans celles-ci qu’on devient protecteur du quartier déguisé en mascotte géante de parc d’attractions et qu’on participe à des combats de robots. Mais aussi qu’on identifie un voyeur, qu’on joue à de vieux jeux SEGA, ou encore qu’on promène son chien limier.
Clash Investigation
Lost Judgment semble donc être un jeu grand public malgrès ses airs de film noir et la gravité des thématiques qu’il aborde. Je sais que les phases de dialogues sont souvent abondantes dans les jeux japonais mais ici leur nombre et leur lenteur d’exécution rend le tout assez indigeste, même à suivre comme un film. Je trouve ça dommage, parce que l’histoire reste intéressante et le dénouement vaut la peine d’être vu.
De la même manière, la plupart des actions demandées par le jeu sont extrêmement simplistes. Par exemple, les phases d’enquête ou d’observation se bornent à déplacer le curseur sur une photo ou dans le décor jusqu’à trouver un point d’intérêt. Idem pour les interrogatoires, dans lesquels il faut poser les bonnes questions, ou présenter les preuves adéquates (un peu comme dans la série des Ace Attorney). Aucun risque donc de se tromper ou d’obtenir un moins bon résultat. En cas de « mauvaise » décision, le jeu propose simplement d’éliminer toutes les possibilités avant de passer à l’étape suivante.
Everybody was kung-fu fighting
Mais dans ce cas, pourquoi diable, avoir collé un système de combat aussi complexe. En théorie, il est possible de passer d’un style de combat à l’autre (tigre, grue, serpent; oui, comme dans Kung-Fu Panda, paye tes références d’occidental), selon les situations. Chaque style a son propre arbre de compétences que l’on débloque en dépensant les points d’expérience gagnés. Ainsi, on devrait pouvoir enchaîner des mouvements spectaculaires et s’adapter en toutes circonstances. Dans les faits, il est difficile de bien comprendre les différences et avantages de chacun de ces styles. Et le système de parade/esquive m’est resté assez opaque jusqu’à la fin.
Je me suis donc retrouvé à multiplier les pas de côtés pour tenter une ouverture et ensuite bourriner le traditionnel combo « trois coups légers, un coup lourd ». Et surtout compter sur les « coups spéciaux » qui se chargent en donnant des mandales, à la manière de Kingdom Hearts. À l’instar de ce cousin de chez Square Enix, j’ai beau en avoir débloqué nombre de ces coups spéciaux, ce sont finalement toujours les mêmes qui ressortent.
Lost Judgment
Le plus rageant étant que certains combats de boss se terminent par des QTE très hasardeux. Il faut alors se retaper tout le combat parce que le jeu identifie mal la séquence de touches. Et je ne suis pas de mauvaise foi, il semble réellement que ce soit un problème récurrent d’après Reddit. C’est alors (presque) sans honte que j’ai terminé le tout dernier affrontement à l’aide d’un bonus que j’avais obtenu en cours de jeu: un extrait mystique qui permet de lancer des boules d’énergie (si si, ça arrive des fois, au Japon). J’ai spammé le bouton de tir et rideau. Oui, bon ça va, hein, je n’ai cure de vous jugement à l’emporte-pièce, il est mal fichu ce système de combat, vous dis-je [NdTeiki : je juge quand même].
Objection rejetée
Et pourtant. Pourtant c’était rigolo Lost Judgment. L’équipe du studio Ryu Ga Gotoku a réussi à créer un environnement vivant pour donner vie à cette histoire captivante d’anciens Yakuzas repentis et tournés vers la loi et la justice par le kung-fu. J’ai été surpris à chaque nouvelle quête. Maintenant la mission principale terminée, j’ai envie de découvrir chaque secret caché dans les ruelles et d’utiliser mes gadgets de détectives (micro à longue portée, détecteur de signaux, etc.) et dénicher la prochaine affaire louche.
Après quarante heures de jeux consacrées principalement à l’enquête principale, le tableau de fin m’indique 13,3% de progression générale. Un DLC centré sur le personnage de Kaito, promettant une histoire inédite supplémentaire, est annoncé pour le printemps 2022. Ce qui est plutôt réjouissant alors que les deux premiers DLC ne rajoutaient que des fanfreluches. Je ne l’ai pas encore mentionné, mais le jeu est intégralement sous-titré en français. Même si une version anglaise des dialogues est disponible, le laisser en japonais renforçait le charme de l’expérience, bien que je ne pipe pas un mot de la langue de Son Goku.
Plaidoirie musclée
Lost Judgment me donne l’impression d’un jeu dans lequel l’équipe de développement s’implique personnellement. Comme s’ils cherchaient à se faire plaisir, en intégrant tout ce qui leur passe par la tête, mais tout en gardant une certaine cohérence minimale. Cet engagement se ressent dans la manière d’aborder la thématique principale, le harcèlement scolaire, et d’y ajouter des sur-couches amusantes, sans trahir le message initial.
Ainsi, toute la première partie du jeu, qui se déroule dans un lycée, donne l’impression que les développeurs nous ont fait revivre une étape de leur jeunesse. En plaçant ce détective ringard à souhait (veste en cuire noire sur t-shirt blanc, baskets idoine et chaine qui dépasse des poches du jeans) dans un environnement où il peut tabasser sans vergogne les brutes adolescentes locales. Est-ce que tous les geeks qui se faisaient maltraiter à l’école n’ont pas un jour rêvé qu’un type débarque de nulle part pour corriger leurs tortionnaires avec des mouvements d’arts martiaux trop stylés? Ne serait-ce que pour découvrir cette proposition de jeu, qui sort un peu de nos sentiers battus, je vous recommande d’examiner la pièce à conviction Lost Judgment.
Note: 7 Jet Li sur 10
Testé sur Xbox One, également disponible sur Xbox Series X|S et PS4/5.